ENTRETIEN AVEC PHILIPPE DEPRICK,
Architecte associé de l'agence d'architecture Deprick et Maniaque.
Pourquoi avoir opté pour la mise en œuvre d'un mur rideau ?
Il nous était demandé de trouver une cohérence architecturale entre les façades existantes rénovées du cinéma et les nouvelles façades du centre culturel, ainsi que des communications entre les deux programmes. Nous avons alors utilisé une petite langue du terrain côté mitoyen, afin de contourner la grande salle de cinéma et de réunir ainsi les deux halls d'entrée. Mais nous pensions aussi que, tout en concevant un ensemble homogène, il fallait bien identifier les deux programmes.
Pour la réécriture des façades du cinéma, nous avons choisi l'aluminium, un matériau très léger qui s'accommodait de la faible capacité portante des façades existantes conservées. Pour le centre culturel, nous avons choisi le béton pour nous élever jusqu'à R+4, un matériaux déterminant aussi pour bien isoler acoustiquement certaines salles d'activités musicales, et à l'inverse, bien isoler le centre culturel des projections en 3D du cinéma. Nous avons ensuite isolé par l'intérieur le centre culturel pour laisser apparent à l'extérieur ce béton que nous aimons. Finalement, les deux entités sont bien affirmées, l'une horizontale, l'autre plus verticale. Pour autant, le centre culturel est totalement ouvert sur la place du Jeu de Paume, par cette grande façade totalement vitrée, un grand mur rideau aluminium à l'échelle de la ville. Les deux entrées, celle du cinéma et celle du centre culturel, sont ainsi clairement identifiées, vitrées, semblables par le matériau, et à l'échelle du site et de la ville.
Comment abordez-vous la dimension d'une telle façade au regard de son environnement proche ?
Nous ne nous sommes pas posés trop de questions : pour respecter le programme, nous devions occuper tout l'espace disponible sur la parcelle et monter sur quatre étages. Juste à côté, il y a un bâtiment année 1930 d'une belle facture, aussi haut que le centre culturel, où s'est installée la police municipale. Le mur rideau de la façade d'entrée du centre culturel permet d'ouvrir l'équipement sur la place du Jeu de Paume, en jouant du contraste entre la façade pleine du nouvel Hôtel de Police, et celle totalement vitrée du nouveau centre culturel.
La façade toute hauteur du centre culturel est plein est sur la place du Jeu de Paume, comment sont gérés les apports solaires ?
La façade est effectivement orientée nord-est, ce qui peut être gênant en période estivale. Ce qu'il faut comprendre, c'est que cette façade n'en est pas une : il s'agit d'un paravent disposé devant les grands paliers de l'escalier principal à chaque étage. C'est un espace de circulation, placé devant la façade isolée du bâtiment qui se trouve donc en second plan, et depuis lequel nous découvrons une vue sur toute la ville. Le mur rideau qui ferme cet espace non chauffé est en simple vitrage. En revanche, pour atténuer cette accumulation de calories matinale en période estivale, nous utilisons la trémie du lanterneau de désenfumage dans laquelle nous avons installé une extraction d'air. Il n'y a pas de store extérieur ni de film adhésif, car nous sommes très soucieux de la pérennité de nos ouvrages. Pas de store intérieur non plus, considéré trop fragile pour un tel espace de circulation sans surveillance. Nous avons finalement installé des petites grilles de ventilation naturelle en quinconce à chaque étage pour favoriser le tirage de l'air par l'extracteur situé en toiture.
La mise en œuvre d'un mur rideau n'est-elle qu'une question de lumière et de vue ?
Non, ce n'est pas que ça. Quand nous parlons de mur rideau, nous parlons généralement de grandes dimensions, de jeux avec les contrastes de pleins et de vides. Mais surtout, cela donne la symbolique d'un équipement public ouvert sur son environnement. Urbain ou paysagé, cet environnement s'invite à l'intérieur de l'édifice. Mais il s'agit aussi de faire comprendre aux utilisateurs qu'ils sont les bienvenus : le mur rideau est une invitation à découvrir ce qui se passe derrière. Aujourd'hui, nous achevons une piscine-patinoire très vitrée dans un très beau parc public. Nous avons orienté le bassin de nage perpendiculairement à la façade vitrée afin que les nageurs voient les grands arbres pendant qu'ils enchaînent les longueurs. La relation intérieur-extérieur est primordiale pour nous. Il s'agit toujours de composer avec ce qui est déjà là. Nous avons la chance de pouvoir agir sur notre environnement, mais il faut être attentif aux conséquences de nos intervention sur un site. Ce qui n'empêche pas d'être radical… Pour ce projet à Méru, nous affirmons une présence avec sobriété, sans ornement mais avec force. Un mur rideau a une écriture sobre et simple, et l'effacement des menuiseries permet un clair de vitrage généreux.
La désolidarisation entre façade et gros œuvre induite par l'invention du mur rideau est-elle positive ou négative selon vous ?
Quand nous construisons, nous procédons nécessairement étape par étape : fondations, gros-œuvre, menuiseries… C'est une addition d'éléments qui doivent à un moment se joindre pour assurer l'étanchéité et la pérennité de l'œuvre. À Méru, nous avons élevé le gros œuvre puis monté le mur rideau. Cette décomposition constructive reste visible aujourd'hui, elle est ainsi didactique. C'est une façon de donner du sens au projet que nous livrons, et si possible qu'il soit perçu par les usagers et les passants. Dans le cas de ce projet, nous tenions à expliquer pourquoi certains choix ont été faits, et comment ils ont été mis en œuvre, sans fard ni cosmétique.
⇒ Lire l'entretien avec l'architecte associé de l'agence DCA sur l'école La Fontaine à Montmorency