Il est arrivé à Tectoniques de choisir le noir : ce n’était pas une façon d’en broyer. L’agence lyonnaise a l’architecture stricte, mais point funèbre. Quand ladite couleur enveloppait intégralement façades et toiture du centre d’exploitation EDF qu’elle édifia dans le Jura, un orangé embrassait l’intérieur des sols aux plafonds. Pareille livrée était conçue pour prolonger chromatiquement la masse sombre que les bois étendaient derrière la construction, en fond de scène.
Dans son rapport au contexte, la maison de la petite enfance livrée voilà un an à Autun procède inversement. Ne trouvant aucun lien possible avec le bâti environnant, déstructuré et hétérogène – barres des années 1970 d’un côté, prémices du centre historique de l’autre –, les architectes choisirent de présenter au concours un projet d’édifice qui inventerait son propre langage. Avaient-ils en tête que les bambins en âge de parler créent souvent leurs mots à eux ? En toute hypothèse, cet âge est celui des pensionnaires qu’allait devoir accueillir la maison de la petite enfance, avec sa crèche de 90 berceaux. L’autre composante du programme consistait en un RIAM, relais intercommunal d’assistantes maternelles, destiné aux nounous travaillant à domicile pour leur permettre d’échanger sur leurs expériences et de suivre des formations. Pour recevoir les petites têtes blondes, barioler de teintes vives l’équipement était inconcevable dans la démarche architecturale de Tectoniques, ennemie de l’expressionnisme gesticulatoire. L’équipe imagina donc un objet qui en vue lointaine apparaîtrait effacé et abstrait, de par le noir de ses parois, mais qui de plus près se ferait mouvant : avancées de toiture et joues en retombée capotées d’un métal verni, pour accrocher la lumière et capter ainsi les reflets mobiles des petits jouant au pied, ou des grands prenant soin d’eux.
« Nos planches graphiques utilisaient un gris soutenu pour ces parois extérieures, et non du noir : nous ne voulions pas effaroucher la communauté de communes, notre maître d’ouvrage, reconnaît Max Rolland, un des cinq fondateurs de l’agence. Depuis que nous avions remporté le concours, il nous faisait totalement confiance. Aussi ne s’est-il pas trop alarmé quand les panneaux de bardage noir ont été posés. Selon la provenance de la lumière, un noir tourne facilement au gris. Mais ce sont les plaques d’Alucobond, placées ensuite sur les avant-toits, qui l’ont vraiment rassuré avec le contraste qu’elles apportaient et l’animation que créaient leurs surfaces changeantes. » C’est ce contraste, et toute la subtilité de ses effets, qui caractérisent le bâtiment dans sa totalité.
Celui-ci se développe sur un niveau unique, formant une équerre dont la branche sud héberge le RIAM pendant que la branche est accueille la crèche. L’entrée se situe à la charnière des deux. L’édifice est éclairé par de larges baies toute hauteur au levant et au midi, les faces nord et ouest restant opaques du fait des vis-à-vis. Mais l’aile de la crèche, plus épaisse, nécessite d’autres apports de lumière, obtenus au moyen d’un lanterneau en partie centrale et d’un patio latéral. La rigueur d’un tel plan se trouve renforcée par un travail poussé des détails de mise en œuvre, afin que les deux éléments constitutifs de cette architecture, chacun d’une chromatique bien particulière, se détachent avec la plus grande netteté. Quel contraste, de fait, entre les façades au noir mat RAL 9005 et les avant-toits relevés à 32° comme les joues obliques qui les poursuivent en s’ouvrant selon un angle de 27°, éléments d’un gris qui, en fonction de la position de l’observateur, se colore tantôt de rose, tantôt de doré ou d’argenté, ou encore de vert ! Rien là pourtant d’un bariolage : de telles teintes, résultant de l’incidence de la lumière sur le vernis de finition des panneaux d’Alucobond, restent légères comme quelque gaze impalpable (l’intérieur du bâtiment développe des effets pastel comparables). De la sorte, elles accrochent on ne peut mieux le reflet des personnages gravitant autour du bâtiment, ballet toujours recommencé.
Quant au noir, il règne sur les façades aveugles comme sur celles qui s’ouvrent au sud et à l’est. Le RAL 9005 se décline sur tous leurs composants. Les parties pleines – façades aveugles plus trumeaux des façades sud et est – consistent ainsi en bardages de panneaux bois composites à base de duromères stratifiés à très haute pression, durablement résistants aux intempéries et aux UV grâce à des résines polyuréthane-acrylique. Les menuiseries sont en aluminium thermolaqué. Brise-soleil orientables (y compris rails de guidage), stores du patio, portes pleines, grilles de ventilation et jusqu’aux bavettes en pied de baies se parent de la même façon de khôl. Et c’est de zinc anthracite prépatiné que se vêt le lanterneau, discret pompon au-dessus des casquettes, et touche finale de la composition.