La situation est d’autant plus inédite que cette extension, livrée en septembre 2014, était prévue lors de la première phase du chantier, terminée en 1999. C’est l’impossibilité économique de démolir la maison occupant l’angle de la parcelle qui avait laissé l’opération inachevée. Malgré tout, la Comédie de Béthune, anciennement Théâtre des pays du Nord, emménage à l’époque dans un espace neuf absolument fonctionnel et spécifique, dont le plan en S se love du boulevard Victor-Hugo à la rue du 11-Novembre. Le long du premier, la scène, ses espaces servants et les loges des artistes occupent un imposant volume glissé à l’arrière de la façade du Palace, unique trace de cet ancien cinéma des années 1930. Déterminant volume aussi, avec sa lasure pourpre brillant qui le recouvre totalement, du sol à l’acrotère arrondi. Il vient alors raviver l’ambiance de ce quartier béthunois quelque peu affligé, malgré la proximité de la Grand-Place et de son fameux beffroi. Et c’est via un corps plus bas et plus étroit, où se situent le hall, le bar et l’administration, que les spectateurs accèdent à la grande scène depuis la rue. Entre ces deux volumes, l’angle résiduel, enfin libéré, fait donc l’objet d’un concours pour l’extension de la Comédie, remporté une fois encore par Manuelle Gautrand en 2009. L’histoire peut ainsi continuer avec les mêmes acteurs et d’autres ambitions. Au programme de restructuration et de mise aux normes PMR et incendie de l’ancien s’ajoutent alors une grande salle de répétition, un nouveau hall ouvert sur les deux artères, un bar agrandi et des bureaux supplémentaires. Les circulations et les liaisons sont évidemment repensées pour plus de fluidité et de souplesse.
Se pose alors la question de l’identité de cette extension. L’architecte fera très vite le choix de la démarquer, de la caractériser franchement, de rendre lisibles les différentes étapes de construction de l’ensemble. Pour éviter l’autopastiche, pour interroger les décisions d’antan tout en définissant un continuum subtil et essentiel, le bâtiment existant n’étant en rien dépassé par le nouvel édifice. Car malgré la franche opposition entre le rouge et le noir, entre les lignes courbes de l’un et celles plus nerveuses de l’autre, entre la massivité du béton et la transparence du vitrage, l’évidence de leur parenté est limpide. Dans la compacité de leurs gabarits, la continuité de leurs nus de façade respectifs, l’absence de débords et d’artifices ; dans la sophistication avec laquelle sont mis en œuvre des matériaux ordinaires et le calepinage en losange qui glisse d’un volume à l’autre ; dans cette unité la permanence est fonctionnelle, idéologique et urbaine.
L’entrée se situe maintenant à l’angle des deux axes, via un hall généreux et vitré qui fait léviter le dernier volume construit, développé sur trois niveaux rattrapant ceux d’origine. Distribuant toutes les fonctions, existantes et supplémentaires, il contourne la nouvelle salle de répétition jusqu’au bar réaménagé côté rue. L’ancien, auparavant situé sous les gradins, est aujourd’hui remplacé par une bibliothèque en libre service. Au cœur de ce dispositif se trouve donc l’outil qui manquait, une boîte totalement noire, à l’acoustique soignée, aux équipements techniques complets, pour accueillir bien sûr les répétitions mais aussi des représentations et différents événements, des résidences pour les troupes invitées. La structure traditionnelle en voiles de béton, fondée sur des micropieux de 20 mètres de profondeur, jamais visible, est bardée d’une isolation thermique par l’extérieur (ITE) sur une ossature en diagonale dont les panneaux en aluminium verni ont fait l’objet du plus grand soin. En continuité des grands losanges peints en noir sur la lasure pourpre de la grande scène, ils forment un tissage d’aplats mats et brillants dont les coupes biaises et les nervures coïncident parfaitement. Et c’est la lumière qui fait vibrer l’ensemble ; selon l’angle d’incidence, le noir est plus ou moins profond, plus ou moins gris, plus ou moins brillant. Plus frugal et moins clinquant que le rouge qui le précède, le noir est ici légitime et sensé ; comme une impression papier, profonde et abstraite. La Comédie de Béthune, aujourd’hui complète, semble ainsi traversée d’ondes émanant directement de la ville, celle-là même qui la fonde.