ENTRETIEN AVEC MAÏRA CALDONCELLI VIDAL
Architecte associée et cofondatrice de MU Architecture
Dans quel contexte la médiathèque d’Épernon a-t-elle vu le jour ?
Située dans le département de l’Eure-et-Loir, la commune d’Épernon se trouve à la confluence de plusieurs rivières [la Drouette, la Guéville et la Guesle, NDLR], qui la rendent particulièrement sensible au risque d’inondation par débordement de cours d’eau. En 2013, la mairie d’Épernon a lancé un appel d’offres pour la conception d’une médiathèque sur une parcelle jouxtant la Drouette, en zone inondable. Malgré le risque naturel certain, la municipalité souhaitait que le nouvel édifice culturel assure l’articulation entre une ZAC moderne et le vieux bourg historique classé, tout en faisant office de figure de proue pour un projet communal visant à créer une « avenue de la Culture » – en insérant la future médiathèque à proximité immédiate du musée de la ville et d’un espace de conférences et d’exposition. Plus qu’une simple bibliothèque, la commune tenait particulièrement à ce que ce bâtiment devienne un véritable lieu de vie pour les habitants. Nous avons donc organisé la séquence d’entrée autour d’une agora largement ouverte, tenant lieu de place publique où les habitants d’Épernon peuvent se retrouver, discuter, jouer… Plus que le programme, ce sont le site et son appréhension qui ont représenté un véritable challenge. Lorsque nous avons visité les lieux, les problématiques inhérentes au milieu nous sont apparues avec évidence. À cause de la proximité de la Drouette, la parcelle était très humide et la végétation particulièrement dense, à tel point que nous n’avons pas pu pénétrer sur le terrain et avons dû le découvrir depuis la rue et le parking voisin, auquel le projet devait s’accoler. Cette aire de stationnement, construite dans les années 1970 en entrée de ville, accentuait le caractère inondable du lieu en raison des remblais nécessaires à son élaboration, ce qui a justifié la demande de la commune de mettre sur pilotis la future médiathèque.
Avant ce projet, aviez-vous déjà travaillé en zone inondable ?
Au moment du concours, en 2013, nous étions une toute jeune agence et n’avions encore jamais eu l’occasion de nous confronter au risque d’inondation. Cependant, nous avons été sollicités de manière quasiment concomitante pour un projet de logements en zone inondable, à Saint-Pierre-des-Corps, pour le compte du bailleur ICF Atlantique. Le bâtiment était également conçu sur pilotis, avec des coursives pour les circulations extérieures et un rez-de-chaussée utilisé pour offrir des caves ventilées. Les ministères de l’Environnement et du Logement nous ont décerné le grand prix d’aménagement en terrain inondable pour ce projet, dont la phase d’études a commencé après notre soumission de projet pour le concours de la médiathèque et dont les travaux se sont achevés avant ceux d’Épernon. Il faut dire que le projet de la médiathèque a connu plusieurs interruptions qui ont repoussé le début des travaux à la fin de l’année 2016.
Quelles ont été les réponses architecturales et structurelles pour faire face à ce risque d’inondation ?
Conformément au cahier des charges défini par la maîtrise d’ouvrage et face au risque d’inondation, notre parti pris a été de laisser l’eau circuler sous le bâtiment. Nous avons ainsi proposé, dès le concours, de placer le bâtiment sur pilotis, à plus d’un mètre au-dessus de la cote des plus hautes eaux. Il a fallu réaliser des fondations spéciales sur pieux forés, garantissant la stabilité du bâtiment sur ce sol argileux très humide. Sur le plan technique, la présence d’un chauffage au sol a impliqué une désolidarisation complète des structures basse et haute pour mieux assurer l’isolation du bâtiment isolé par l’extérieur grâce à des panneaux de laine de roche et éviter les risques de remontées d’eau par capillarité. Les pilotis en béton nous ont permis de surélever légèrement la médiathèque par rapport au niveau du parking, auquel elle est reliée par une rampe. Nous souhaitions par ailleurs que l’agora, travaillée comme un petit amphithéâtre, constitue le seul point d’accroche et de contact avec la rue. Durant la phase de concours, nous avions imaginé différentes passerelles prolongeant le bâtiment pour le relier aux équipements publics voisins. Cette idée, très appréciée du jury, n’a pas été mise en oeuvre car elle ne figurait pas dans la commande initiale, mais, à la demande de la maîtrise d’ouvrage, nous avons adapté le projet afin que ces cheminements puissent éventuellement être ajoutés dans un second temps en prenant appui sur les grands débords de dalle qui entourent le bâtiment.

© David Foessel
Quels liens le projet tisse-t-il avec son contexte ?
Nous voulions avant tout entretenir une forme de culture du risque : nous trouvions très pédagogique que les patios puissent être mis en eau en situation de crue, pour permettre aux usagers de la médiathèque d’observer la montée et la descente des eaux ainsi que la submersion de la végétation. L’idée était par ailleurs de créer un bâtiment très généreusement vitré, non seulement pour accentuer l’effet de rotule entre différentes zones urbaines, mais également pour faire de la médiathèque une vitrine pour la ville et inciter les usagers à pénétrer à l’intérieur du bâtiment tout en étant projetés au milieu de la végétation. La question du risque de surchauffe en été s’est évidemment posée au regard de la surface de vitrage du projet, mais la densité de la végétation masquant les apports de lumière directs et l’humidité du lieu garantissent aujourd’hui un confort d’été très satisfaisant. La vaste toiture en porte-à-faux, en plus de protéger le vitrage du soleil, a été pensée pour accentuer le lien entre intérieur et extérieur grâce à sa sous-face figurant une oeuvre de la graphiste Rafaëlle Ishkinazi. Rafaëlle a ainsi créé une illustration mêlant et superposant des documents historiques communaux, des images du ciel et des incrustations d’images représentant la faune et la flore du site. Le résultat détermine au plafond dif férentes ambiances, qui définissent plusieurs zones au sein de la médiathèque et rompent avec l’aspect brut des matériaux de construction. Les grandes surfaces vitrées et le bardage en inox amplifient ces jeux de reflets de l’eau et de la végétation, conférant à cette petite médiathèque une atmosphère très sereine qui semble séduire les habitants, puisque le nombre d’inscriptions au moment de l’ouverture a largement dépassé les attentes de la mairie.
Quelles stratégies paysagères avez-vous mises en place pour adapter la parcelle au risque de crue ?
Nous avons été accompagnés tout au long de ce projet par le paysagiste Thomas Secondé, de l’agence AC&T Paysage et Territoires. Un double travail de dessin du sol devait être mené, tantôt pour drainer le terrain, tantôt pour pouvoir retenir l’eau au sein de deux patios en cas de crue. Au coeur des patios, Thomas a choisi d’installer dans des gabions une sélection de plantes vivaces et grimpantes capables de résister à la submersion (chèvrefeuille, clématite, aristoloche à grandes feuilles, anémone hépatique, bugle rampant, helxine et dichondra rampant). Si la loi sur l’eau nous autorisait à réaliser cette mise en eau dans les patios, il nous fallait cependant ne pas la « bloquer » définitivement ; pour ce faire, il a fallu augmenter de part et d’autre des patios le potentiel de débit et de passage de l’eau, afin d’éviter que des crues trop importantes puissent inonder l’agora, légèrement plus basse que le niveau du sol de la médiathèque. À cet endroit, d’autres vivaces de pleine terre ont été choisies par le paysagiste : salicaire commune, jonc arqué, reine-des-prés, géranium des marais… La législation nous demandait par ailleurs de créer un réseau d’évacuation de l’eau avec pompe de relevage permettant de conduire le surplus d’eau sur un terrain de l’autre côté de la route. Il nous a paru aberrant de créer un système d’entretien si complexe au vu du fait que la parcelle présentait une déclivité naturelle vers la Drouette. De fait, si tous les réseaux ont été mis en place, nous avons préféré axer notre intervention sur un travail de nivellement du sol, sous le bâtiment, afin de créer des noues permettant de drainer l’eau en direction de la rivière. À l’époque du concours, les crues survenaient tous les ans, à l’automne et au printemps ; celle de 2016, durant le chantier, a d’ailleurs entravé l’avancement des travaux… Mais depuis l’inauguration du bâtiment en 2019, le niveau de la Drouette semble au contraire anormalement bas et la commune n’a recensé quasiment aucune crue. Avec une mise en eau maximale de 10 centimètres, nous n’avons pas vraiment eu l’occasion de tester le caractère inondable du terrain depuis son inauguration.
© Mu Architecture