ENTRETIEN AVEC LOÏC JULIENNE
Architecte cofondateur de Construire - atelier d'architecture
Pouvez-vous nous parler du projet du restaurant du Bois-des-chambres et de son contexte ?
Le domaine de Chaumont-sur-Loire se développe depuis 15 ans selon trois axes : le patrimoine, les jardins et l'art. L'hôtel-restaurant du Bois des chambres, commandé par le domaine lui-même et financé en partie par la Région, devait en être le reflet, bien que le terrain de la ferme Queneau sur lequel nous nous sommes installés ne se situe pas dans le périmètre exact du domaine. En premier lieu, nous nous sommes attachés à préserver le patrimoine en place. Les toitures des deux granges et de l'étable, construites sous Anne de Broglie, étaient éventrées et les murs éboulés. Nous avons fait le choix de reconstituer ce patrimoine en respectant son évolution au cours des siècles, sans chercher à lui rendre son aspect d'origine. Ce lieu raconte l'histoire du monde paysan, et non un patrimoine idolâtré ou rêvé. Nous avons tout de suite décidé que l'on ne ferait rien dans ces bâtiments pour préserver leur authenticité. Nous ne voulions surtout pas essayer de les transformer, de les isoler, de les chauffer ou de les ventiler : nous souhaitions les garder comme des témoins de ce passé agricole, en écho aux communs du château transformés en salles d'exposition pour accueillir des œuvres d'art contemporain dans des conditions un peu frustes, bien loin du confort auquel on pourrait s'attendre dans ce genre de programme. Nous avons également beaucoup travaillé sur le rapport avec le paysage. Les bâtiments de l'hôtel sont posés au milieu d'un jardin. Pour répondre à la commande du domaine de Chaumont-sur-Loire, nous avons repris les ombres portées des deux bâtiments agricoles principaux pour créer deux bâtiments contemporains réalisés en ossature bois, isolant paille et revêtus de fibrociment ondulé, pour reprendre le vocabulaire des constructions agricoles d'aujourd'hui, et dans lesquels nous avons installé les chambres. Il restait ensuite le sujet de la salle du restaurant qui est, finalement, le seul bâtiment du projet à n'être ni un élément de patrimoine ni une référence à une typologie traditionnelle. Cette salle a donc été pensée comme un objet artistique et paysager, dans un imaginaire très végétal. Nous nous sommes inspirés de certains bulbes de fleurs mais aussi de têtes d'ail, qui sont de très beaux objets, très dessinés.
Pourquoi avoir fait le choix d'allier l'acier au chaume, d'ordinaire plutôt associé à une structure bois ?
Inspirés par la roselière qui se trouvait près de l'étang bordant le restaurant, nous avons décidé de couvrir le bâtiment de chaume, un peu comme si nous étions allés chercher les roseaux voisins pour le coiffer. Avec ses 30 centimètres d'épaisseur de chaume, le restaurant paraît très massif de l'extérieur. Nous souhaitions au contraire que l'intérieur soit très léger. Le métal s'est donc imposé à nous rapidement. Le contraste entre le chaume, généralement posé sur une charpente en bois, et le métal, fin et léger, nous a semblé très beau. Sous l'apparence massive de la toiture, la sous-face de la couverture prend des airs de voûte céleste avec ses panneaux d'un bleu profond. Outre la référence au ciel, nous nous sommes inspirés pour les couleurs du restaurant, paré de rouge, bleu et doré, d'une enluminure du XVe siècle, celle des Très Riches Heures du duc de Berry, comme un écho au patrimoine de Chaumont-sur-Loire. Nous avons d'ailleurs travaillé avec un grand éclairagiste de théâtre, Philippe Berthomé, pour éclairer le plafond d'une lumière diffuse, lui donnant l'aspect d'un ciel nuageux. À la manière de graminées, le bras courbe des lampes, penchées au-dessus des tables du restaurant en forme de pétales, est doublé d'une tige verticale portant une pampille en verre qu'il a lui-même fondu et martelé et dont la forme diffracte la lumière pour mettre en valeur la charpente. Celle-ci est constituée d'une multitude d'arcs reliant la façade à un point central, le foyer. Nous avons réellement dessiné ces arcs comme tels, avec une corde, l'arc lui-même et, entre les deux, des flèches, éléments indispensables pour que la charpente tienne. Si leur aspect pointu fait immédiatement penser à des flèches, la référence au végétal est également bien présente. Nous les avons pensées comme des feuilles dont on n'aurait gardé que les nervures, des objets végétaux reliant l'arc et la corde. Pour obtenir un tel effet, le recours au métal était une évidence. D'une façon très différente, la structure métallique nous a également accompagnés dans la création de l'accueil. Ayant fait le choix de ne pas transformer les granges existantes, nous avons décidé de construire une boîte à l'intérieur qui serait, elle, chauffée et isolée pour accueillir la réception. Nous avons installé cette boîte dans la plus grande des granges, à 60 centimètres des murs existants, et l'avons pensée comme une serre. Ici, la charpente métallique est très minimaliste, rien à voir donc avec la structure du restaurant. Mais c'est l'effet de surprise, pour les visiteurs, de découvrir un objet très contemporain à l'intérieur d'une grange ancienne qui nous intéressait. Pour l'accueil, et plus spécialement pour la salle du restaurant, le bois aurait impliqué de plus grosses sections et nous aurions raconté une tout autre histoire.
Plus connu pour son utilisation de matériaux biosourcés, l'atelier Construire a pourtant acquis de réelles compétences dans la mise en œuvre du métal. Comment ce matériau s'est-il imposé à vous ?
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'atelier Construire ne se limite pas à l'emploi d'un matériau particulier, bien au contraire. Nous travaillons avec autant de plaisir le béton, le métal ou le bois, et c'est finalement l'histoire du site ou des besoins techniques spécifiques qui nous poussent à choisir tel matériau plutôt que tel autre. Certes, le bois est nettement plus durable parce qu'il stocke du carbone alors que la fabrication de métal en produit, mais le projet du Bois des chambres est durable au sens où nous proposons des bâtiments qui ont déjà toutes les caractéristiques d'un pull-over : les chambres sont isolées par d'épais murs en paille et le chaume du restaurant est lui aussi extrêmement performant. Avoir fait le choix de conserver les bâtiments de l'ancienne exploitation agricole s'inscrit dans une démarche durable que nous trouvons mieux assumée que de simplement faire en bois pour faire en bois. À mon sens, il ne faut pas s'interdire de matériaux. D'ailleurs, parmi les projets de l'atelier, plusieurs sont en structure acier et nous avons constaté avec amusement que les trois grands restaurants que nous avons réalisés avaient tous été construits en ossature métallique, que ce soit La Grenouillère à La Madelaine-sous-Montreuil pour Alexandre Gauthier, le nouveau restaurant trois étoiles du chef Michel Troisgros dans lequel une forêt de poteaux métalliques redéfinit des alcôves dans la grande salle de restaurant qui se développe autour d'un chêne, et bien sûr celui de Chaumont. Le recours au métal n'est donc pas nouveau pour nous, y compris pour ce type de programme. Aujourd'hui, le travail de l'acier comme du bois exige une veritable connaissance du matériau de la part du bureau d'études techniques et des architectes et s'appuie sur un vrai savoir-faire au moment du montage et des assemblages sur place. Nous avons eu la chance de travailler avec des entreprises très compétentes, comme ACML pour la charpente métallique avec qui nous avions déjà collaboré à La Rochelle autour du Musée maritime et du projet La Sirène, un espace de musique actuelle sur le port. Pour l'un comme pour l'autre, nous avions utilisé conjointement le métal et le textile, grâce à une technique assez proche de celle du chapiteau de cirque et que très peu de personnes maîtrisent : l'architecture métallo-textile, dans laquelle les toiles précontraintes reprennent une grande partie des charges. Pour mener à bien le projet du restaurant du Bois des chambres, qui réinterprète cette typologie du chapiteau, nous avons pu compter sur l'expertise du bureau d'études structures métalliques et textiles ASTEO, dirigé par Yves Jacquet, qui nous avait accompagnés dans la réalisation de notre projet pour l'École nationale des arts du cirque à Rosny-sous-Bois en métal et toile. Je pense qu'un autre bureau d'études aurait eu du mal à concevoir un objet à la fois aussi sophistiqué et aussi simple que le restaurant du Bois des chambres, qui a finalement été pensé comme un chapiteau, sans reprise de charge au centre puisque la cheminée n'a aucun rôle structurel. Il y a eu une très bonne passation entre notre dessin, son interprétation par notre bureau d'études de maîtrise d'œuvre puis par le bureau d'études de l'entreprise ACML. Nous sommes vraiment restés très fidèles à notre idée première.
FICHE TECHNIQUE
LOCALISATION Chaumont-sur-Loire (41), France
MAÎTRISE D'OUVRAGE Domaine de Chaumont-sur-Loire
MAÎTRISE D'OUVRAGE DÉLÉGUÉE 3 Vals Aménagement
MAÎTRISE D'ŒUVRE Construire - atelier d'architecture
CO-TRAITANTS Patrick Bouchain (directeur artistique), Alice Périot (cheffe de projet), Lilas Archaux (permanence de chantier), Pedro Villegas (économie et OPC), Damien Roger (paysagiste), Yves Jacquet (ingénieur charpente métallique), Éric Charrier (ingénieur fluides), Ni-colas Albaric (acousticien), Isabelle Allégret (architecte d'intérieur), Outoumbé Eli (VRD), Amine Daouadji (bureau de contrôle) et Viviane Guittet (SPS)
ENTREPRISES Gueble et Lasnier (gros œuvre), ACML (charpente métallique), Arts et Traditions du Chaume (Chaumier), Croixalmétal (menuiseries extérieures métalliques), Chaumet (peinture), Galloux (plomberie et CVC), Pellé (électricité), SRS (revêtements de sols), Eiffage Route (VRD), Popelin (serrurerie décorative), Roche Agencement (agencement intérieur)
SURFACE 2 500 m²
PHOTOGRAPHIES Éric Sander
PROPOS RECUEILLIS PAR Coline Jacquet