Rédigé par Jean-François Pousse | Publié le 02/04/2015
Impossible d’éviter les superlatifs. À 40 kilomètres à l’est de Tianjin qui galope vers les 20 millions d’habitants, et à côté de son port aux méga-ambitions, l’écocité de Sino-Singapour sort de terre à une vitesse vertigineuse, comme la teda (Tianjin Economic Development Area) dont elle fait partie, cette zone de marché libre conçue pour attirer les investisseurs étrangers. Objectif 350 000 habitants sous peu, dans un monde repensé développement durable. Effet d’annonce, « green painting » de façade ? Mieux et plus sans doute. En tout cas, Sino-Singapour teste en vraie grandeur des solutions susceptibles de servir aux futures villes vertes de l’empire du Milieu. C’est là, au cœur d’un paysage de marécages et d’eau filant vers la mer Jaune toute proche, que Marc Mimram vient de terminer deux ponts jetés au-dessus d’un lac qui ressemble à un canal. Baptisés S1 et S2, ils sont de même culture, frères et absolument différents.
Ici, la tarte à la crème de la sensibilité au site n’est pas un vain mot. En symbiose avec la ligne du lac, au plus près de son niveau constant, l’un et l’autre en épouse l’horizontalité, juste posés, presque flottants. À cette pureté de la droite s’ajoute la houle de leur structure : en béton armé pour S1, en acier pour S2. De la complexité résolue en épure grâce à la puissance du calcul numérique, importé il y a dix ans, aujourd’hui intégré, maîtrisé.
S1 est construit à partir de grandes coques en béton de 54 mètres de portée pour une longueur totale de 460 mètres. Les deux tabliers jumeaux et parallèles permettent de réutiliser un coffrage une dizaine de fois. Et quel coffrage ! Seuls le savoir-faire local, l’immense main-d’œuvre chinoise et des coûts de construction impossibles en Europe permettent de réaliser une telle merveille de métal et de fond de banche en contreplaqué, et au final ces minces voiles de béton à la finition talochée claire, formant de vastes coupoles inversées à double courbure, à très forte résistance de forme.
Avec presque 200 mètres de plus, S2 associe, dans un mouvement continu et absolument fluide, culées (80 et 60 mètres) et viaducs d’accès (75 et 100 mètres) de part et d’autre des deux tabliers centraux indépendants (320 mètres), porté chacun par un extraordinaire ruban de métal blanc à triple courbure transversale et longitudinale. Là encore, la liberté du concept repose sur la sophistication du calcul, la technologie numérique, la valorisation des conditions locales et l’immémorial pouvoir de la main.