ENTRETIEN AVEC RAZVAN GORCEA - MICHEL RÉMON & ASSOCIÉS | ARCHITECTE ET BIM MANAGER
Quelle est votre définition du processus BIM ?
Je vais essayer de donner une réponse très simple et claire, la définition résidant dans le terme lui-même : BIM = Building Information Modeling.
Si nous savons traduire « building », par contre deux nouvelles notions apparaissent :
♦ « modeling » : modélisation 3D par objets - murs, fenêtres, portes, etc.
♦ « information » : types, dimensions, matériaux, couleurs, paramètres, coefficients, etc.
Par conséquent, dans un processus BIM, les acteurs du projet échangent des modèles (maquettes numériques) et des informations (données issues de ces modèles) et non plus uniquement des dessins (plans, coupes, etc. ). Ce changement est fondamental.
Depuis quand avez-vous mis en place l'usage du BIM au sein de votre atelier ? Pourquoi avoir fait ce choix ? Qu'en attendiez-vous ?
Michel Rémon & associés a fait le choix du BIM en 2013, au moment propice où tous les partenaires de la maîtrise d'œuvre (ingénieries, économistes, entreprises) amorçaient le même virage - le BIM est avant tout un processus collaboratif.
Adopter le BIM n'est évidemment pas qu'une question de parc informatique et de logiciels, en quoi cela a-t-il modifié votre organisation , vos processus ?
L'intégration du BIM a été, avant tout, un choix de la direction.
Cela a supposé un investissement, pendant une période assez conséquente, pour former les 35 architectes, créer un nouveau poste de responsable BIM, adapter les méthodes de travail, etc. En juillet 2015, toutes les méthodes de travail développées à l'atelier pour le BIM ont été certifiées par l'Afnor dans le cadre du Système Management Qualité ISO 9001 - une première en France.
Quel bilan faites-vous de vos premières réalisations achevées en processus BIM ?
Aujourd'hui, tous les projets, y compris les concours - en loi MOP, conception-réalisation ou privés -, sont conçus et développés en maquette numérique dans un processus BIM collaboratif niveau 2. Chaque projet a un référent BIM assigné pour toute la durée des études. Pour les opérations dont l'atelier est mandataire, l'équipe assure le BIM management de l'opération encadré par une convention BIM propre à chaque projet. L'atelier et ses partenaires ont été récompensés par un BIM d'argent aux Trophées BIM d'or 2016, pour la codirection du processus BIM mis en place pour la construction du nouveau plateau technique de l'hôpital Édouard-Herriot à Lyon - processus avec treize intervenants en loi MOP.
La réussite d'un projet mené en BIM réside, entre autres, dans la définition très précise des éléments qui doivent composer la maquette interopérable. Cela n'oblige-t-il pas l'architecte à hâter ses prises de décisions ? Cela n'ampute-t-il pas le temps de réflexion et de création ?
Je ne suis pas sûr que la question soit bien posée et j'entends souvent ce type d'interrogation. Je pense tout simplement que ce changement fait partie de la transformation du métier d'architecte dans le monde contemporain. Les impacts sont divers et à différentes échelles, mais ce n'est pas l'usage en soi du BIM qui garantira la qualité du projet. Nous essayons justement de nous faciliter des tâches courantes et de nous donner plus de temps pour la création, pour concevoir une belle architecture contemporaine - c'est l'objectif premier.
Le BIM est un processus complexe qui nécessite une normalisation approfondie, garante de l'interopérabilité et de la compatibilité ; n'est-il pas à craindre que l'architecture s'en trouve elle-même normalisée et standardisée ?
Encore une fois, je trouve que la question est posée à l'inverse.
Le « processus » BIM a des « outils » BIM. Ces (nouveaux) outils deviennent les outils de création de l'architecte - mieux on les maîtrise, mieux on conçoit les projets. Les normes ont toujours existé pour l'architecte et davantage : dans nos projets - hôpitaux, laboratoires, industrie, recherche, tertiaire, ERP -, tout est réglementé pour des raisons de sécurité, d'accessibilité, de confort thermique, etc. Nous essayons donc d'intégrer ces règles - comme des paramètres - dès la réception du programme. En automatisant ces tâches qui deviennent impossibles à contrôler autrement aujourd'hui, nous gagnons du temps pour la conception architecturale.
Une maquette BIM n'est-elle composée que d'objets BIM ? Est-ce à dire qu'en dehors des catalogues des industriels, point de salut ?
C'est une fausse idée à nouveau. La maquette doit être dans un premier lieu un outil de conception pour l'architecte. Cela n'empêche pas d'utiliser - au bon moment de la conception -des objets qui existent et qui respectent une standardisation, car le facteur économique de réalisation du projet doit être aussi anticipé dès le début, pour aboutir à un bâtiment qui en réalité est encore mieux que dans une image de synthèse. L'architecte doit maîtriser l'ensemble du processus de conception et réalisation de son bâtiment - c'est sa valeur ajoutée -, et pour cela il faut qu'il maîtrise également le BIM management du projet - c'est-à-dire surtout savoir définir des objectifs réalisables et un niveau de détail adapté à la phase du projet.
L'architecture entre ainsi dans l'air de la big data ; est-ce à dire que les données auront plus de valeur que le dessin lui-même ?
Je pense que c'est une conclusion logique et juste. Mais ce n'est pas encore le cas d'un point de vue juridique. Par exemple, nos projets livrés en maquette numérique sont nettement plus riches en information et qualité que les livrables 2D contractuels qui sont extraits à partir de cette maquette. Il y a encore une forte inégalité de maturité sur le sujet au niveau des acteurs impliqués dans la construction. C'est un processus en cours, auquel on travaille tous, c'est dans l'air du temps…
Entretien paru dans exé 30 spécial Traits
⇒ Lire l'entretien de Jacques Lévy-Bencheton, architecte associé de Brunet Saunier Architecture
