ENTRETIEN AVEC JACQUES LÉVY-BENCHETON - BRUNET SAUNIER ARCHITECTURE | ARCHITECTE ASSOCIÉ ET DIRECTEUR BIM
Quelle est votre définition du processus BIM ?
Il s'agit de l'application d'un processus lié à des technologies nouvelles sur tout le cycle de vie du bâtiment, de la programmation jusqu'à l'exploitation, dont la colonne vertébrale est une maquette numérique.
Depuis quand avez-vous mis en place l'usage du BIM au sein de votre atelier ? Pourquoi avoir fait ce choix ? Qu'en attendiez-vous ?
Nous avons commencé à utiliser la maquette numérique en 2005 pour produire nos livrables. Nous développions à cette époque une nouvelle typologie hospitalière et parallèlement nous travaillions sur des projets de plus en plus grands, jusqu'à 80 000 mètres carrés et dont les programmes comportaient jusqu'à 4 000 pièces. Nous ne pouvions donc plus utiliser Autocad, nous avons cherché d'autres outils, sans penser au BIM, et notre éditeur Autodesk venait de racheter le logiciel Revit qui produit une maquette numérique. Nous avons donc découvert un outil nous permettant de gérer les surfaces et les propriétés de nos projets de façon presque automatique, cela répondait à nos besoins de cette époque. Nous utilisions déjà des logiciels 3D pour faire de l'image, mais ensuite nous avons compris ce qu'était ce nouvel outil, une véritable base de données, avec des objets intelligents. À partir de 2010, nous avons commencé à travailler avec des partenaires qui eux aussi utilisaient la maquette numérique, nous rentrions alors dans un processus collaboratif, nous commencions à travailler en BIM.
Adopter le BIM n'est évidemment pas qu'une question de parc informatique et de logiciels, en quoi cela a-t-il modifié votre organisation ?
Ce processus a profondément modifié notre façon de travailler. Déjà en 2005, travailler sur une seule maquette numérique a tout changé. Quand un collaborateur travaillait sur les plans, d'autres travaillaient sur les coupes et les façades, aucun de ces fichiers n'étaient liés. Travailler sur un même objet, autour duquel on peut tourner, nous a donné une vision du projet différente. Concevoir en trois dimensions, cela change tout. Et cela nous a aussi fait gagner du temps et nous a donc permis de réduire de 30 à 40 % l'effectif attribué à chaque projet, cet effectif étant libéré pour faire d'autres projets. Le nombre d'architectes ici n'a pas changé depuis notre passage en BIM.
Quel bilan faites-vous aujourd'hui de cet usage ?
Le bilan est extrêmement positif. Le BIM est effectivement une révolution pour la filière entière, le travail collaboratif a changé, avec les BET mais aussi avec les entreprises. Le BIM nous donne, à nous maître d'œuvre, beaucoup d'informations en amont, qu'il est difficile ensuite de remettre en question pour les entreprises.
Vous reprenez le pouvoir sur l'exécution ?
Oui, il y a de cela, on est plus précis, donc le BIM inquiète les entreprises. Elles essayent aujourd'hui de reprendre la main.
Ensuite, tout dépend de la phase du projet et du type de contrat. En loi MOP, en conception-réalisation, en partenariat public-privé. Au sein de ces deux derniers, le BIM nous a permis d'intégrer beaucoup plus d'informations au projet, et de le voir beaucoup moins déshabillé par la suite. Dans ce contexte mondial qui nous oblige à construire de moins en moins cher et de plus en plus dans la performance d'un point de vue environnemental, le BIM nous permet de répondre : les 28 cibles HQE deviennent possibles à atteindre avec ce processus. Il nous permet d'apporter des solutions financières et environnementales efficientes. En 2050, nous serons 6,5 milliards à habiter en ville, la ville est le sujet important. Les bâtiments que nous construisons aujourd'hui doivent être les outils de la ville intelligente de demain. Et pour qu'ils soient connectés, pour qu'ils puissent échanger de l'information, ils doivent être conçus et construits en processus BIM. Pour qu'ils soient les outils de la ville de demain, les informations qu'ils contiennent doivent être organisées et nécessaires.
Le processus BIM permet-il la souplesse nécessaire et indispensable en phase de conception du projet ?
C'est un sujet très important ; c'est ce que les architectes considèrent comme le point faible de cette technologie. Si vous interrogez les très jeunes architectes qui travaillent avec nous, qui sont très familiers de tout cela, ils se sentent effectivement bridés durant toute la phase de conception. C'est en partie vrai, nous aurions besoin de plus de souplesse pour effectuer toute cette phase de design conceptuel directement dans la maquette. Cela dit, il y a quelques outils intégrés qui permettraient de le faire mais c'est complexe. Finalement, le problème vient plutôt de la formation que de l'outil en lui-même. Celle-ci se concentre sur la partie production, immédiatement, il n'y a quasiment pas de formation dédiée à la conception et au design. Cependant, le processus BIM reste un bon outil de conception car il oriente les différentes études en fonction du programme, des surfaces, il est un guide qui fait gagner du temps.
Mais effectivement, après plus de dix années d'utilisation de la maquette numérique, nous pensons que des améliorations devraient être apportées. Les éditeurs l'ont compris, ils développent des outils de plus en plus simples - du type Sketchup, chez Autodesk il s'appelle FormIt - qui sont liés à la maquette numérique. Ils permettent de géolocaliser le projet, de faire des études d'ensoleillement. Mais il faut encore améliorer le processus.
L'interopérabilité permise par le BIM est un avantage indéniable. Mais comment l'architecte pourra-t-il conserver le contrôle du projet ?
Effectivement, le processus collaboratif l'est de plus en plus, on travaille sur des plateformes où tous les acteurs sont connectés, dont le client. Nous travaillons actuellement sur les hôpitaux Lariboisière et Henri-Mondor, et l'APHP est en mesure de visionner la maquette et ses informations. C'est pratique, mais cela peut aussi avoir des inconvénients : nous travaillons selon les phases d'études de la loi MOP, auxquelles le BIM n'est pas corrélé, et le maître d'ouvrage nous demande de plus en plus d'informations en amont ; donc le curseur a bougé, il faut rééquilibrer tout cela. Mais c'est aussi un réel avantage, nous utilisons la réalité virtuelle sur l'hôpital d'Helsinki ; le client lui-même a mis en place une cave , une salle immersive permettant de se projeter dans la maquette numérique. Ceci est un énorme avantage, nous perdions beaucoup de temps à expliquer le projet aux utilisateurs, aujourd'hui la compréhension est plus rapide et plus complète.
Entretien paru dans exé 30 spécial Traits
⇒ Lire l'entretien de Razvan Gorcea, architecte et BIM manager de l'atelier Michel Rémon & Associés