Max Dudler a souhaité, au-delà de sa fonction, en souligner les qualités d’espace public à travers un langage architectural contextualisé et intemporel, austère mais juste. L’ensemble brille par sa finesse, par l’équilibre entre la géométrie implacable, d’une froideur quasi dystopique, et la sensualité de la lumière, qui vient réchauffer le tout.
Un projet au long cours
À Leipzig, ville pionnière du chemin de fer en Europe, une première gare est érigée dès 1844, suivie d’une seconde en 1915. Plus d’un siècle après, le projet de relier les deux, l’une tournée vers Munich, l’autre vers Berlin, voit le jour. En décembre 2013 est ainsi inauguré le CTL – City Tunnel Leipzig –, cinq kilomètres de rail souterrain et ses quatre nouvelles stations. Réussissant le pari de passer sous le cœur historique de la ville, le tunnel permet le trafic du train régional et du S-Bahn, le métro local. D’un coût de près de un billion d’euros, c’est l’un des plus ambitieux projets d’infrastructure en Europe. À l’issue de l’appel d’offres public, en 1997, quatre architectes sont choisis pour aménager chacun un arrêt. Proche des grandes institutions, la place Wilhelm-Leuschner est située sur l’Innenstadtring, la rocade ceinturant le centre-ville. Altérée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale et laissée à l’abandon pendant la période soviétique, elle porte encore les stigmates de son histoire. Dans cet espace peu contraint, la station a pu se déployer librement le long du tracé prédéterminé de la ligne. La coque intérieure, longue de 140 mètres et large de 20 mètres, imprime une légère inflexion due au rayon de courbure nécessaire à l’arrêt des trains. Elle est prolongée par deux accès, Nord et Sud, matérialisés en surface par deux pavillons en briques de verre. Sous terre, la structure de béton précontraint est complétée par près d’une centaine de poutres métalliques, permettant le dégagement total du hall sur 20 mètres de haut.
La gare comme espace public
La station s’inscrit dans la continuité du système de passages qui caractérisent le centre historique. Le plus novateur, le Mädler-Passage, est surplombé, sur 142 mètres de long et 13 mètres de haut, d’une structure de béton précontraint en arcade, scellée de briques de verre. Bien que la gare soit souterraine, l’ambition a été d’y recréer la clarté et l’ouverture de cette galerie marchande centenaire, tout en maintenant l’esprit structurel. On est ici au cœur du travail de Max Dudler, architecte rationaliste dialoguant avec la cité et son histoire. Pour cela, l’agence a collaboré avec les designers lumière de Licht Kunst Licht. Poutres et parois de béton ont été au préalable peintes en blanc de manière à favoriser la réflexion de la lumière. S’y superpose une deuxième peau composée de 900 modules carrés de 3 mètres de côté, chacun réunissant 144 pavés de verre assemblés en atelier. L’ensemble est inséré dans une structure d’acier galvanisé à chaud, masquée par des bandes de béton précontraint de 20 millimètres d’épaisseur. Le dispositif, systématique au mur mais partiel au plafond pour plus de légèreté, vient souligner le vaste quadrillage tout en faisant office de protection antifeu. Sur les côtés, des lampes tubes fluorescentes T16 sont placées sur la face arrière des bandes de béton et tournées vers le mur. La brique translucide permet la diffusion d’une lumière douce, semblable à celle d’une journée de brouillard. A contrario, les briques du plafond transmettent 90 % de la lumière venue des plafonniers. Un éclairage zénithal, plus cru, vient ainsi souligner les volumes au sol.
Cinquante nuances de gris
L’espace, dynamique, est démultiplié par la régularité de la trame épousant la courbe de l’enveloppe. La tôle perforée anthracite surmontant les tunnels contribue à le prolonger visuellement. L’impressionnante hauteur achève de consacrer le lieu comme référence aux gares du 19e siècle, cathédrales de leur temps, au-delà de la fonctionnalité. Une certaine idée de la grandeur appliquée au quotidien, défendue par l’agence. La séquence d’entrée participe de l’élongation de l’espace. Les marches, bordées par les escaliers roulants, monumentales, filent directement vers la place. Surplombant le hall, le palier intermédiaire est nimbé d’une lumière naturelle que vient souligner l’encadrement sombre des murs. Le ruban blanc du quai, couvert d’un terrazzo dépourvu de joint, est conçu comme un contrepoint à la grille, tout juste ponctué par la signalétique en carrelage noir, qui complète l’aspect graphique de l’ensemble. En complément d’un espace intangible, les architectes ont voulu inscrire le projet dans la matérialité. Les escaliers sont ceints de voiles de béton, une minéralisation qui s’oppose à la clarté intérieure comme s’il fallait traverser le rocher, avant de retrouver la lumière. Bancs, horaires, distributeurs de tickets, éclairage d’urgence ont été inscrits dans des monolithes de béton et soulignés par des joints creux. Des équerres en métal noir signalent chaque quai. Les panneaux de publicité sont quasi absents. Le mobilier est ainsi assimilé à des sculptures qui viennent rythmer l’espace sans en troubler la quiétude, conformément à l’esprit minimaliste de l’architecte suisse.