Sénart, nommée Melun-Sénart jusqu’en avril 1997, est l’une des cinq villes nouvelles créées en Île-de-France dans les années 1970. Moins bien lotie que sa consœur Marne-la-Vallée qui a su attirer la souris américaine et tirer parti de son attractivité, elle est difficilement identifiable et peu savent la situer à quelque 30 kilomètres au sud-est de Paris. Tenant son nom de la forêt éponyme dont les 3 000 hectares s’étendent entre les vallées de la Seine et de l’Yerres, elle est composée de dix communes réparties sur les départements de la Seine-et-Marne et de l’Essonne. Enclavés par Évry et Melun, ses 12 560 hectares, soit 2 000 de plus que la capitale, sont structurés en trois ensembles autour d’un grand vide. C’est là que François Tirot, directeur de l’urbanisme à l’établissement public d’aménagement de Sénart (EPA), dessine un immense carré de 1,4 kilomètre de côté au début des années 2000. Voiries au cordeau, paysage maîtrisé et parcellaire rationnel devront générer une centralité absente et nécessaire. Sans se targuer de « faire de la ville », les ambitions d’alors semblent se confirmer petit à petit. Bureaux, établissements d’enseignement supérieur, surfaces commerciales se sont installés ; mais c’est l’ouverture du Théâtre-Sénart en octobre dernier qui enthousiasme les Sénartais aujourd’hui.
La scène nationale n’est pas nouvelle, labellisée en 1992, elle officiait depuis 1986 au sein de deux salles, La Coupole construite par Jean Nouvel la même année à Combs-la-Ville et La Rotonde réalisée par Witold Zandfos en 1991 à Moissy-Cramayel. Jauges insuffisantes, plateaux trop petits et équipements techniques désuets ont motivé la construction d’un nouvel édifice, au centre du Carré-Sénart donc. Face à ce grand paysage artificiel et pratiquement désert, les architectes de l’agence Chaix & Morel et associés ont fait le choix de la massivité, mais dans ce qu’elle a d’indépendant et d’emblématique. À l’exercice classique de la boîte opaque, Anabel Sergent, associée en charge du projet, nous explique avoir ajouté la hauteur, « l’événement, pour l’œil et l’ambiance » au sein de ce vide toujours en développement. À la simplicité du plan carré de 80 mètres de côté répond alors une volumétrie complexe mais jamais feinte, car générée par les masses intérieures. Visible de loin malgré la sobriété du gris clair de son enveloppe, un clocher se fait signal, la cage de scène devient relief, le tout s’équilibrant et s’avérant plus familier et ouvert au fur et à mesure de l’approche.
Boîte à outils
L’ambition est réelle : fonder un pôle de création, de production et de diffusion dédié à la danse, au théâtre et à toutes les musiques. Ouvert sur le territoire afin d’attirer chaque public, le hall allongé occupe l’intégralité de la façade sud et dessert toutes les fonctions. À l’est la grande salle de 1 278 mètres carrés et 843 places, à l’ouest la petite salle modulable de 600 mètres carrés pouvant accueillir de 303 à 1 126 spectateurs, au nord la salle de répétition, l’atelier de construction de décors et les espaces techniques, coiffés par l’administration et les loges d’artistes au premier étage. Au cœur de ce dispositif, un patio paysagé et accessible, source de lumière et de ventilation naturelle.
Lumière et obscurité
Entre transparence salvatrice et opacité fonctionnelle, le public s’oriente simplement. Tectonique de béton brut et de lumière naturelle, le hall accueille le restaurant, les bars, la billetterie et la librairie. Directement accessible depuis celui-ci, la petite salle, ou black-box, au rez-de-chaussée, est équipée d’un gril culminant à 10 mètres et de gradins télescopiques aux configurations multiples. L’accès à la grande salle est quant à lui mis en scène via un escalier latéral qui devient coursive s’enroulant autour du vaste vide sous pente et lanterneaux.
Enveloppe au carré
Les concepteurs ont exploré le carré à toutes les échelles : en partant de celui de 80 mètres de côté de l’emprise du bâtiment, jusqu’au plus petit de 5 centimètres embouti et/ou perforé dans les cassettes d’aluminium prélaqué qui composent l’enveloppe. Bardage métallique traditionnel, celle-ci vient confirmer une nécessaire massivité faisant face au caractère quasi désert de son environnement. Jouant avec les nombreuses propriétés de symétrie et de régularité de cette figure géométrique remarquable, les architectes visaient bien évidemment l’unité et la stabilité essentielles à un ouvrage de cette dimension ; mais ont heureusement évité l’écueil de l’immobilisme. Sans gesticulation, le volume est animé d’une vibration subtile et sobre.