Polariser l’urbain
Dès l’origine, la cité Descartes opta pour l’enseignement et la recherche en se construisant sur le refus d’un parc à thème américain. L’idée d’un pôle scientifique et technique participe d’une dynamique locale de synergies entre différentes institutions et complète la mosaïque intellectuelle du lieu – l’École des ponts, l’école d’architecture, l’École de l’innovation technologique pour n’en citer que trois. Elle y ajoute un élément faisant cohabiter L’ifsttar, le cstb, l’École des ponts et le pres (pôle de recherche et d’enseignement supérieur) université Paris-Est. Justement, le bâtiment prend le nom de Fulgence-Bienvenüe, père du métropolitain. Avec 50 laboratoires et 18 établissements d’enseignement supérieur, le terme de « cluster » apparaît, signifiant cette saisissante convergence des intérêts sur un même site.
Dans cette atmosphère de ville nouvelle propre à Marne-la-Vallée, l’urbanisation au coup par coup jette une nuance d’incertitude à laquelle chaque nouvelle architecture tend à remédier par une présence forte mais autonome. Chaix & Morel, Bernard Tschumi et Dominique Perrault y ont laissé ces écoles où l’intériorité prime, faute d’un contexte stable. Si l’agence Pargade architectes remporte le concours en 2008, c’est sans doute parce que son approche prend acte de l’entourage pour mettre en tension son bâtiment. Celui-ci occupe principalement la partie nord de la parcelle pour affirmer le boulevard Newton par une barre épaisse de 21 mètres sculptée de patios. Les plateaux avec quatre accès s’adaptent à des configurations multiples, et les activités tertiaires accueillies profitent d’une orientation nord-sud permettant d’optimiser la consommation énergétique. Les ouvertures sont minimisées d’un côté tandis que l’autre est protégé de brise-soleil orientables en verre sérigraphié à 90 %. Prévus comme capteurs solaires, ils n’en ont gardé que la couleur qui habille la façade de lunettes noires.
Voûtes du savoir
Une dalle ondulée abrite avec fluidité le cœur de parcelle, ouvrant la spatialité en direction de l’École des ponts et de l’espace public en devenir. Le restaurant, la bibliothèque, la salle de sport et une halle d’essais techniques se trouvent ainsi drapés d’une couverture verte, dont les 40 centimètres de terre confèrent à l’édifice une inertie thermique remarquable. La courbe permet d’adapter la hauteur de la voûte aux différents espaces et de récupérer les eaux pluviales par chéneau en partie centrale. Pour réaliser cet ouvrage d’une longueur de 200 mètres sans joint de dilatation, l’architecte l’a conçu comme un pont avec des appuis glissants aux extrémités et fixes au centre. La dalle de béton de 50 centimètres est alors ferraillée sur ses membrures inférieure et supérieure. Avec un rayon de courbure variable, la couler fut un défi qui excluait un coffrage traditionnel. Après prototypage, des panneaux bakélisés de 1,50 x 1,27 mètres furent fabriqués : le système permettait de les réemployer malgré les différents rayons de courbures. Lors du chantier, les étais positionnés à des hauteurs différentes supportaient ces panneaux, qui, du fait de leur relative souplesse, se courbaient sous le poids propre du béton, s’adaptant ainsi au tracé prévu.
Aménité sous le béton
Les voûtes de béton deviennent ainsi un trait caractéristique du bâtiment et les surfaces laissées brutes sont systématiquement offertes à la vue et à l’imagination. Les autres éléments d’aménagement viennent alors contraster par un design plus soigné et ramènent l’espace à la dimension de son utilisation.
Une certaine maîtrise des lots techniques a d’abord permis de faire passer les gaines – désenfumage, ventilation et chauffage – par le plancher pour limiter l’encombrement. Les luminaires, alimentés via des tubes noyés dans le béton, composent avec les panneaux acoustiques triangulaires un second plafond abaissé à la hauteur de l’intimité du restaurant. Dans le hall, des petites boîtes courbes en lames de bois finement découpées forment la borne d’accueil et le kiosque à journaux. En façade, les murs rideaux désolidarisés s’intègrent dans les réserves prévues dans la dalle de béton pour ouvrir largement les vues au sud ou laisser pénétrer par lanières le paysage. Ici, le zen d’un campus japonais a rencontré le brutalisme du béton.
Du campus au paysage
Jean-Philippe Pargade, qui aime à citer Thomas Jefferson pour se référer au campus, pense son projet dans un rapport à la nature qui coïncide avec les intérêts du développement durable portés par la maîtrise d’ouvrage – le ministère de l’Écologie – et les laboratoires de recherche. L’important est peut-être dans le verbe (« faire campus » dit-il aussi), et l’architecture en se mettant en relation avec son contexte voudrait initier un processus. La prairie – ici matérialisée par les pelouses, les terrains de tennis et les parvis – est le médium par lequel quelque chose de commun pourrait émerger, au-delà et différemment des activités professionnelles spécifiques des utilisateurs. La couverture verte, praticable, y participe aussi. Elle n’est pas laissée à l’état de pelouse uniforme : le paysagiste David Besson-Girard l’a composée, en structurant le gazon avec des champs de plantations, par l’installation de ses « machines à fleurs » qui sont fleuries 9 mois sur 12. L’ironie du jeu entre le naturel et l’artificiel alimente ses différentes interventions, comme ces grès de Fontainebleau qui semblent si sauvages, et pourtant flottent curieusement au-dessus du sol dans les patios et au rez-de-chaussée.
Perché sur la vague verte, on saisit la grande échelle du site : le bois de Grâce au nord-est et le bois de la Grange au sud-est entrent dans la cité Descartes. Bientôt les cabanes de bois de l’artiste Tadashi Kawamata s’installeront au creux des ondes pour y suggérer quelques usages insolites.