Si les chemins de fer desservent à merveille Paris et ses gares intra-muros, ils créent en contrepartie de nombreuses problématiques urbaines. Véritables frontières, ils séparent les quartiers, induisent des vibrations et de fortes nuisances sonores et visuelles complexifiant le renouvellement urbain. Aujourd'hui, le Grand Paris cherche à valoriser l'image et l'attractivité de ces zones de foncier disponible situées en bordure de ville, comme ici dans le 18 arrondissement. La Chapelle, ancien site ferroviaire à l'abandon depuis une dizaine d'années, sera dès 2024 une des nouvelles portes d'entrée dynamiques de la ville. Entre l'Arena qui accueillera des épreuves des Jeux olympiques et le nouveau campus Condorcet, au total, pas moins de 6 000 nouveaux usagers - habitants, travailleurs et étudiants - sont attendus ! Cet ambitieux objectif nécessite la revalorisation des nombreuses halles de fret présentes sur le site ainsi que la construction à neuf de plusieurs complexes. Ici, ce sont les architectes Jacques Moussafir et Nicolas Hugoo qui allient leur savoir-faire pour concevoir l'îlot G du quartier Chapelle International. Résultat : un ouvrage bicéphale de 105 logements dont 40 sociaux et 65 intermédiaires, deux commerces, 19 Soho (Small Office/Home Office), et des parkings. Le tout dans une architecture aux multiples langages, parfaitement cohérents et maîtrisés.
L'ensemble urbain est guidé par des consignes précises données par les urbanistes de l'AUC, orientant la conception des divers lots de la parcelle. Le cahier des charges dicte un programme très dense mais aussi esthétiquement très normé. Pour créer une unité dans le quartier, les urbanistes ont distingué un « monde bas » -un socle sur deux niveaux ceinturant la parcelle par une façade béton -et un « monde haut » -deux édifices aux gabarits précis mais sans autres grandes obligations que leur efficience et leur densité. D'après Jacques Moussafir, cette planification urbaine « est une contrainte positive qui unifie le site. L'ensemble aura une grande qualité grâce à cette règle et à la programmation. »
Trois unités se distinguent donc ainsi : le plot G 1, le plot G 2 et le socle. Chacun des architectes s'est attaqué à une tour, tandis que le socle est le fruit d'une réflexion commune. Pour que leurs conceptions dialoguent correctement tout en s'exprimant différemment, ils se sont cependant fixé une matériau thèque précise et ont fait le choix d'utiliser uniquement le béton, le bois (mélèze), et l'aluminium ; s'autorisant néanmoins à jouer sur leurs différents aspects. Le béton est bouchardé, poli, coffré ou encore coulé en place tandis que l'aluminium est ajouré, anodisé ou brut, créant une très cohérente richesse.
Les Soho (Small Office/Home Office) répondent à un programme innovant initié par le Grand Paris. Ils rassemblent, dans un même module attribué à un bailleur, un local professionnel et un logement. Répartis sur l'ensemble des socles du bâtiment, sur deux niveaux, ils atteignent la même hauteur que les halles de fret alentour. Sur cet îlot G, les architectes souhaitent distinguer deux entrées pour chaque unité : l'une pour le bureau/atelier, l'autre pour l'habitat, ce qui induit une architecture biface. Les concepteurs ménagent donc un espace de contraste permis par l'ouvrage, car si la façade extérieure est très contrainte par le cahier des charges (une grille tramée en béton architectonique), ils ont carte blanche pour celle intérieure.
La sphère privée est ainsi plus libre et des espaces de sociabilité sont dessinés : vides extérieurs semi-privatifs, patios et coursive flottante à R+1 desservant tous les logements des Soho.
Écho au centre-ville de la capitale, une densité conviviale est créée au cœur même de l'îlot, contrastant avec l'environnement extérieur, bien plus aéré.
« C'est une volonté plastique d'avoir un paysage et un relief intéressants à regarder depuis les tours. Cela crée des variations de hauteur à l'intérieur comme à l'extérieur, une richesse, et une variété », expliquent les architectes. C'est cette envie esthétique matérialisée par la construction de ces volumes trapézoïdaux aux pans inclinés qui conduit à l'emploi d'un bardage en aluminium nervuré perforé, en vêture horizontale, verticale et également en brise-soleil. Cette nappe métallique forme ainsi la cinquième façade. Sur une ossature mixte béton/bois, la matière légère et flexible s'adapte aux formes trapézoïdales et répond à toutes les exigences techniques. Cependant, le plus complexe dans ce pêle-mêle était de faire entrer la lumière, malgré les ombres portées des tours voisines. Un tour de force réalisé par les différentes inclinaisons de toitures et les vides alternés, malgré une limite de la densité autorisée par le PLU presque atteinte, chaque patio mesurant 6 mètres par 4. L'aluminium et les terrasses en caillebotis reflètent et laissent traverser la lumière, ce qui offre une grande qualité spatiale aux logements et bureaux, nonobstant la densité et le vis-à-vis.
La forme urbaine induit l'exercice du plot et sa rationalité. Ces deux géants de béton reposent sur des noyaux centraux autour desquels rayonnent les 105 logements de toutes tailles allant du T 1 au T 4. La surface de vitrage est considérablement élevée, et les portées allant jusqu'à 8 mètres de long entre le noyau et la façade porteuse offrent des plateaux lumineux et très flexibles, adaptés au cas où le programme tendrait à évoluer. Flottant au-dessus de la nappe métallique, les bâtiments sont au diapason, unis par la même matérialité et le même paysage. Ils sont tous deux conçus suivant un principe de plans géométriques pivotant autour du noyau en fonction des étages afin d'apporter de la variété à la façade sans bousculer la très claire organisation. Malgré cette cohérence dans le schéma structurel, les édifices n'ont pas le même langage. À l'est, Jacques Moussafir fait le choix d'une enveloppe porteuse massive à l'allure gaufrée. À l'ouest, Nicolas Hugoo place les façades en retrait des nez de dalles afin de proposer de larges surfaces de balcon pour chaque logement. Cet aspect feuilleté est augmenté par le dédoublement des rives, qui, en plus d'affiner la massivité de l'ouvrage, révèle une aisance technique. En effet, le plénum masque de nombreuses problématiques dans ses sous-faces, comme l'évacuation des eaux pluviales, l'isolation ou encore les stores.
Fiche technique
♦ LOCALISATION Paris 18, France
♦ ARCHITECTE Jacques Moussafir Architectes + Nicolas Hugoo Architecture
♦ COLLABORATEURS Jérôme Hervé, Amélie Brulé, Ary Justman, Amélie Rigaud et Marty Ilievsky + Julie Vinois, Sylvie Nguyen et Louise de Chatellus
♦ MAÎTRISE D'OUVRAGE RIVP
♦ MAÎTRISE D'ŒUVRE URBAINE L'AUC
♦ PROGRAMME Construction d'un programme résidentiel comptant 40 logements sociaux, 65 intermédiaires, 19 Soho, deux commerces et 83 places de parking
♦ SURFACE DE PLANCHER 8 947 m² don t G1 2 839 m², G2 4 815 m², commerce set Soho 1 293 m²
♦ COÛT TRAVAUX 19 588 329 euros HT
♦ CONCOURS 2 014
♦ LIVRAISON 2021
BUREAUX D'ÉTUDES
♦ ÉCONOMIE BMF
♦ STRUCTURE Batiserf Ingénierie
♦ FLUIDES HQE Louis Choulet
♦ ACOUSTIQUE Point d'Orgue
ENTREPRISE
♦ GÉNÉRALE Léon Grosse
MATÉRIAUX ET ÉQUIPEMENTS
♦ BÉTON PRÉFABRIQUÉ Decomo
♦ BARDAGE Alucoil, Alucobond, Tolartois
♦ MENUISERIE EXTÉRIEURE BOIS Billiet Menuiserie
♦ MENUISERIE EXTÉRIEURE ALU Schüco
♦ STORE Mermet