Quelle est la spécificité d'AREP dans le paysage des agences d'architecture françaises ?
AREP, l'agence d'architecture pluridisciplinaire, est une filiale de SNCF Gares & Connexions. Créée par Jean-Marie Duthilleul à la demande de la SNCF en 1997, notamment autour de l'impulsion donnée par la création de la LGV [ligne à grande vitesse, NDLR] Méditerranée et les gares nouvelles construites sur son passage, l'agence a de fait développé un intérêt singulier pour les programmes de gares, mais également pour les lieux de la mobilité en général. Globalement, AREP s'intéresse à des missions qui s'inscrivent dans le développement de territoires résilients et qui contribuent à des stratégies d'atténuation et d'adaptation. Nous sommes qualifiés d'agence pluridisciplinaire pour la variété des métiers qui composent le Groupe. Avec des projets qui vont de l'échelle du territoire à celle du mobilier, les architectes collaborent avec des ingénieurs, des urbanistes et des designers, mais également des chercheurs, des métiers du conseil, de la programmation… Le tout développé sur le territoire français, avec en outre deux implantations asiatiques : en Chine, où AREP est impliquée en particulier sur des projets de gare - notamment plusieurs gares situées sur un tracé à grande vitesse qui permet de desservir différents sites des Jeux olympiques de Pékin -, et au Vietnam, sur des missions de conception urbaine. Au cours d'une année, AREP planche sur près de 500 projets, qui vont de la petite gare française au grand projet d'aménagement chinois.
Quelles sont les stratégies de l'agence pour le développement d'une architecture durable ?
En ce qui concerne le pôle Environnement et Numérique, notre équipe regroupe des capacités d'études environnementales sur l'ensemble des échelles auxquelles intervient l'agence, depuis la conception d'espaces intérieurs jusqu'au rapport entretenu avec le grand territoire, en passant bien entendu par l'échelle intermédiaire du bâtiment. Sur le plan du numérique, nous nous occupons de mener les démarches et proposons les outils au service de la performance du projet, dans l'idée de pouvoir développer des cas d'usages environnementaux et des simulations numériques ; sur la dimension environnementale, nous permettons aux concepteurs de se saisir de toutes les opportunités que présentent ces démarches et outils du numérique. La structuration de notre action repose sur la capacité de nos équipes à faire monter en compétences transverses l'ensemble du Groupe, pour ne pas être les seuls dépositaires d'un savoir-faire spécifique réservé à une poignée d'initiés, mais transmettre plutôt ces connaissances à tous les collaborateurs afin qu'ils sachent mobiliser ce savoir-faire opérationnel dans leurs missions. Si le partage des savoirs au service de projets plus vertueux fait partie de la grammaire AREP depuis longtemps, l'agence a formellement développé une démarche d'entreprise pour faire valoir cette transversalité à partir de 2018. Cette date coïncide avec l'arrivée de Raphaël Ménard, président du directoire d'AREP et directeur de l'Architecture et de l'Environnement de SNCF Gares & Connexions, et signe la mise en place de la démarche EMC2B, nom de code pour Énergie, Matière, Carbone, Climat et Biodiversité. Cette stratégie est née de la conscience des impacts environnementaux imputables aux deux secteurs dans lesquels se spécialise AREP, le bâtiment et la mobilité, qui représentent additionnés près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre mondiales. EMC2B fournit une grille d'analyse des projets pour prendre en compte les cinq points de crise du sigle dans l'ensemble de nos pratiques et nous permettre d'actionner les leviers nécessaires. J'insiste sur l'idée d'une démarche d'entreprise, car il s'agit encore une fois de ne pas faire de ces cinq domaines des chasses gardées : l'objectif demeure le partage des savoirs pour que chaque collaborateur puisse construire les outils et méthodes adaptés à sa mission, et pour ne pas avoir à sous-traiter la question environnementale à des experts HQE qui n'interviendraient qu'à la fin du projet. Nous avons donc mis en place au sein d'AREP un groupement d'experts doté de cinq référents, un par initiale, qui animent un réseau composé d'environ soixante-quinze ambassadeurs, choisis dans chacune des unités d'AREP pour puiser dans les connaissances de toutes les équipes. Le rôle de l'ambassadeur est donc celui de trait d'union entre le savoir produit à l'échelle de ces comités d'experts et les besoins des équipes - et en particulier des architectes, qui sont le métier le plus représenté au sein d'AREP.
Dans les faits et au moment d'aborder une nouvelle mission, nous commençons toujours par interroger les besoins du projet afin de s'assurer qu'une intensification de l'usage sur le site en question n'est pas préférable à une construction neuve. Lorsque la construction est nécessaire, nous nous saisissons des leviers EMC2B en fonction de leur pertinence et de leur faisabilité. Pour commencer sur le poste « Énergie », le premier enjeu est de réduire autant que possible les besoins pour concevoir des bâtiments plus sobres. La gare de Besançon Franche-Comté TGV illustre à cet égard les bienfaits d'une conception bioclimatique : nous y avons mis en place de rampes d'accès aux quais illuminées de manière naturelle pour engager une consommation de lumière artificielle moindre pendant la journée, ainsi qu'une série de panneaux photovoltaïques en toiture. Sur le plan « Matière », on retrouve ce même principe de sobriété et cette volonté de mobiliser le minimum de matériaux neufs. Nous nous appuyons dès que possible sur des matériaux biosourcés ou des produits de réemploi : sur la gare de Saint-Denis, qui continue d'être exploitée malgré les grands travaux qui la concernent en ce moment, nous devions créer des accès provisoires à la gare. Nous avons choisi de mettre en œuvre des panneaux métalliques issus d'une déconstruction, qui ont été enchâssés dans des structures conçues pour recevoir un élément de remplissage inconnu au moment de la conception. Pour la dimension « Carbone », nous avons établi un tableau référentiel défini par lots architecturaux qui nous permet, lorsque nous concevons un projet, de visualiser rapidement le poids carbone des produits que nous souhaitons mettre en œuvre et d'opter pour les alternatives les plus vertueuses possibles. Nous nous intéressons aussi à l'impact carbone des mobilités à l'échelle urbaine ou territoriale. AREP a, par exemple, mené une étude pour le compte du Grand-Duché de Luxembourg, qui a permis de tester l'impact de plusieurs cas de figure et de proposer des solutions d'amélioration de l'impact carbone global des mobilités luxembourgeoises. La dimension « Climat » de la démarche EMC2B a pour objectif de maîtriser le confort climatique dans les espaces que nous créons, dans le contexte du changement climatique. Le sujet est particulièrement intéressant lorsqu'on traite du programme de la gare, espace généralement vaste et ouvert plus difficile à contrôler sur le plan climatique qu'un logement ou un espace de bureaux. Dans la gare de Montpellier Saint-Roch, le confort climatique repose sur la technique du refroidissement adiabatique, qui désigne la mise en contact d'air chaud et de fines gouttelettes d'eau, rencontre qui permet à ces dernières de s'évaporer et d'abaisser la température de l'air. La brumisation permet ainsi de refroidir efficacement de grands volumes intérieurs pour lesquels le recours à la climatisation aurait été insensé. Un autre projet relatif au climat et qui a particulièrement concerné l'Hypercube, la cellule de recherche d'AREP, est la gare de Saint-Michel-Notre-Dame, projet pour lequel l'agence a remporté le Grand Prix national de l'Ingénierie en 2021. Les chercheurs de l'Hypercube ont simulé sur cette gare souterraine des scénarios de conforts aéraulique et de qualité de l'air. Enfin, sur le sujet « Biodiversité », nous veillons à limiter autant que possible les chantiers susceptibles de morceler les espaces naturels et à restituer un maximum d'espaces naturels colonisables par différentes espèces lorsque nous intervenons dans une zone déjà urbanisée. Par exemple, nous avons créé le long d'un accès à la gare de Versailles-Chantier un cheminement planté selon plusieurs strates de végétalisation : un premier niveau bas de graminées et d'herbes folles, puis un niveau d'arbustes et enfin d'arbres de haute tige. Nous tâchons également d'apporter à nos projets une dimension éducative, qui peut paraître anecdotique mais qui permet d'éveiller la curiosité des usagers pour la nature : en gare de Viry-Châtillon, de petits observatoires ont été installés entre les claustras du fond de gare, qu'accompagnent plusieurs panonceaux renseignant le voyageur sur les espèces évoluant dans le périmètre du projet.
Quel est le rapport entre le pôle BIM et l'Hypercube ?
Le pôle BIM rassemble une vingtaine de collaborateurs qui œuvrent sur la méthode opérationnelle des projets menés au sein d'AREP ou en AMO. La collaboration permise par la maquette 3D correspond tout à fait à l'idée de transversalité véhiculée par l'agence, qui a commencé à travailler en BIM dès 2014 à la suite d'un programme de formation intense mis en place pour embarquer tous les métiers du Groupe. Le BIM et le SIG sont nécessaires à l'élaboration des simulations conduites par l'Hypercube. La bonne implantation d'un bâtiment est conditionnée par un contexte pour lequel le SIG permet d'apporter des données d'entrées fondamentales pour la maquette, tandis que la démarche BIM permet la mise en relation de toutes les expertises autour d'un objet unique. L'Hypercube est quant à lui une cellule de recherche composée de docteurs, de thésards, d'ingénieurs et d'architectes mobilisés soit dans le cadre des projets d'AREP en appui à la maîtrise d'œuvre, soit en AMO. Les chercheurs de l'Hypercube sont spécialistes de la modélisation et de la simulation de phénomènes physiques liés au bâtiment et à son environnement et œuvrent à la conception d'un bagage théorique commun. Ce pôle est né de la spécificité des programmes de gares comme lieux de flux ouverts et semi-ouverts au regard de thématiques comme le confort climatique : l'exemple de la gare de Montpellier Saint-Roch et du refroidissement adiabatique illustre la pertinence d'une recherche consacrée au climat. La référente « Climat » EMC2B travaille d'ailleurs au sein de l'Hypercube, où sont calculés des phénomènes physiques relatifs aux conforts thermique, hygrométrique, aéraulique, de pollution et de qualité de l'air - ce qui est primordial lorsqu'on conçoit des gares souterraines. Le projet de Saint-Michel-Notre-Dame, qui repose sur les simulations de confort aéraulique, n'aurait pu être mené à bien sans le contexte géologique indispensable à la conception de cette gare souterraine fourni par la maquette 3D.
Quels sont les bénéfices de la maquette numérique dans un processus de conception durable ?
Outre les économies de temps (relatives, car il peut être tentant d'échanger plus d'informations que nécessaire) et d'argent (qui concernent surtout la maîtrise d'ouvrage), la maquette numérique permet surtout de mieux concevoir des projets plus performants. Il est primordial de questionner les informations qui y figureront, notamment en ce qui concerne l'existant et le niveau de détail avec lequel on le retranscrit. Il s'agit de ne décrire que ce qui sera utile et pertinent pour ne pas perdre de temps ni alourdir le fichier commun, ce qui rendrait difficile son exploitation. Lorsqu'on intervient sur des bâtiments patrimoniaux, le BIM permet de mesurer la façon dont on agit sur l'existant et de considérer les nombreuses surprises qu'il peut receler. Le studio de Projets 4 d'AREP, placé sous la responsabilité de Beatriz Castro, travaille sur la Gare de l'Est pour le compte de SNCF Gares & Connexions, où l'enjeu patrimonial est fondamental ; les maquettes modélisées doivent pouvoir restituer toute la finesse et la complexité de ce bâtiment historique tout en permettant d'envisager la faisabilité du projet d'aménagement. Le programme de la gare soulève d'ailleurs la question de l'interface avec l'infrastructure ferroviaire : le BIM Management de l'ensemble des interventions permet d'assurer le bon échange d'informations. La maquette numérique est ainsi une façon de faire communiquer ces différents domaines d'ingénierie et leurs problématiques propres tout en vérifiant la bonne prise en compte des différentes contraintes.
Enfin, la démarche BIM rend toute son importance au crayon. Si l'on peut (sans doute à tort !) démarrer d'emblée la conception avec un logiciel comme AutoCAD, ce n'est pas le cas sur Revit. Le BIM replace réellement le crayon dans toute sa primauté : le schéma manuel agit en complément sensible des dimensions technique et constructive de la maquette BIM. Quant aux bénéfices du numérique pour la maîtrise d'ouvrage, SNCF Gares & Connexions est aujourd'hui pionnier dans le domaine du BIM GEM, c'est-à-dire la modélisation de jumeaux numériques de projets à des fins de gestion du patrimoine, d'exploitation et de maintenance. Le Groupe travaille actuellement à la création de 122 jumeaux numériques de gares. Ce partenariat d'innovation mené avec Dalkia [filiale du groupe EDF spécialisée dans les services énergétiques, NDLR] et Stereograph [éditeur de logiciels 3D, NDLR] a pour objectif de créer un hyperviseur à l'intention des mainteneurs, qui connectera les données des jumeaux numériques, des données GMAO [gestion de la maintenance assistée par ordinateur, NDLR] et des données de gestion technique du patrimoine. Les gares de Nîmes Pont-du-Gard et de Toulouse Matabiau sont déjà testées sur une version pilote de l'outil.
Cet entretien est à retrouver dans notre numéro spécial Exé n°47 !