Entretien avec Marc Mimram
Architecte-ingénieur et fondateur de l’agence Marc Mimram Architecture Ingénierie
Comment ce projet de gare a-t-il vu le jour ?
Cette commande de la SNCF, organisée sur la base d’un PPP, a confronté au cours d’un dialogue compétitif [qui s’est déroulé à l’été 2013, NDLR] plusieurs grandes agences comme celles de Foster, Perrault ou Ferrier. Notre groupement était composé d’Icade, mandataire, et de l’entreprise Fondeville. C’est avec eux que nous nous sommes lancés dans l’aventure du béton fibré. Je parle d’aventure car, à ma connaissance, hormis certaines structures développées par Rudy Ricciotti, aucun projet français n’avait réellement osé le BFUP – du moins pas en couverture. Si la spécificité de notre agence repose en effet sur l’alliance entre architecture et ingénierie, il est certain que nous avons collectivement, en tant que groupement, pris un certain risque en proposant cette réponse. Je suis encore très sensible au fait que l’entreprise Fondeville ait accepté de travailler ce matériau dans une mise en œuvre horizontale, jusque-là non éprouvée. Il a tout de même fallu un certain alignement des planètes pour que ce projet voie le jour : Fondeville et Icade ont joué le jeu de l’innovation, la SNCF a finalement accepté l’hypothèse d’une toiture en BFUP alors qu’ils auraient pu nous traiter de fous… Je passe ma vie à expérimenter dans tous les sens, notamment sur les matériaux de structure, et je peux vous assurer que pour qu’un projet expérimental sur le plan de sa structure soit mené à terme, il est indispensable qu’il repose sur une volonté partagée entre maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage.
Quelles sont les caractéristiques du BFUP qui vous ont incité à oser sa mise en œuvre sur ce projet ?
Le BFUP s’est présenté comme le matériau idéal pour la couverture de la gare de Montpellier : c’est un béton de très faible porosité, de très grande densité et qui possède d’immenses qualités structurelles. Dans une gare, la couverture doit évidemment être étanche à l’eau mais il n’est pas nécessaire qu’elle soit étanche à l’air. De fait, l’absence d’isolation thermique signifie qu’il est possible de révéler le matériau en le laissant brut sur la couverture, à la fois en sous-face et en surface. Cette caractéristique du BFUP de ne pas nécessiter de protection à l’eau est totalement extraordinaire. Nous n’avons pas eu à le recouvrir ! Là où les gares du xixe siècle étaient conçues à partir d’une structure en acier et d’une couverture en verre, la structure BFUP de la gare de Montpellier est aussi sa couverture. L’emploi de ce matériau nous a semblé être une réponse tout à fait adaptée pour ce programme et pourtant, personne ne l’avait encore jamais fait. De manière générale, je trouve que le BFUP est un matériau magnifique mais encore très mal utilisé en France, plus souvent choisi pour des raisons décoratives que structurelles : sur des balcons ou des loggias, pour faire des moucharabiehs… À l’exception de Rudy [Ricciotti, NDLR], très peu d’architectes l’utilisent à sa juste valeur. Je dirais que ce projet de gare a fourni une excellente opportunité de démontrer les nombreuses capacités de ce matériau structurel, étanche, résistant et préfabriqué. Le chantier de la gare de Montpellier était en effet complètement propre ; le montage des éléments s’est fait de manière extrêmement rapide : de mémoire, la couverture a été réalisée en seulement dix jours. Une fois tous les éléments préfabriqués alignés au sol, il a suffi que la grue les soulève, puis les pose…
©️ Hisao Suzuki
Comment avez-vous conçu les différents éléments BFUP qui composent la couverture de la gare ?
La couverture est composée de 105 éléments en BFUP que nous avons appelés « palmes ». Celles-ci ont été réalisées par l’entreprise Méditerranée Préfabrication sur la base de cinq moules différents, dont chacun a été conçu dans les ateliers de l’entreprise, juste à côté de Marseille, et où le béton choisi, un Ductal® blanc [incluant des fibres inox, NDLR] mis au point avec Lafarge, a également été coulé. Ces coffrages étant très chers à fabriquer, nous avons choisi de limiter les variations des palmes en travaillant étroitement avec Méditerranée Préfabrication, ce qui nous a permis d’obtenir les formes que nous attendions mais aussi de définir les dimensions maximales des différents éléments en anticipant leur convoyage depuis l’usine jusqu’au chantier. Les palmes mesurent ainsi 18,5 par 2,5 mètres pour seulement 3 à 5 centimètres d’épaisseur. Chaque palme, en forme de V, est plissée en deux pour donner de l’inertie à ses deux faces ; les deux plis sont reliés par une nervure centrale précontrainte – nécessaire dans la mesure où, s’il est extrêmement performant à la compression, le BFUP, comme tous les bétons, résiste mal à la traction. Au niveau de la rive de toiture, on observe une palme particulière qui fait office d’auvent ; positionnée en console, elle porte ombre sur la façade tout en observant une courbure qui se positionne à l’inverse de celle imprimée par l’arche de toiture.
Tous les éléments préfabriqués sont en outre perforés de réservations qui accueillent des éléments vitrés. Leur empreinte a été préparée en usine et les ouvertures ont été choisies en fonction de l’orientation solaire et donc de la position en toiture de la palme qui les accueillerait, de manière à régler la quantité de lumière reçue à l’intérieur de la gare au-travers des éléments de verre de 40 × 16 cm inclus dans les réservations. On a donc cinq types de palmes au sens du coffrage, mais nous avons réussi à obtenir beaucoup plus de variations grâce à ces percements, déterminés par la position de la palme sur la toiture. Ce qui me plaît dans ce projet réside justement dans le fait qu’il allie la masse et la lumière. Il a un certain côté gothique…
La structure de la toiture est en fait mixte, associant le BFUP à l’acier. Pourquoi avoir choisi cette combinaison ?
Notre souhait initial était effectivement de concevoir les poutres de support de toiture en BFUP, mais nous y avons rapidement renoncé en raison du prix des coffrages et du manque final d’efficacité qu’aurait apporté cette option. L’acier permettait d’atteindre les portées visées tout en étant très simple à mettre en œuvre : on le découpe, on le soude et c’est terminé. Disons que cette association de matériaux nous a permis d’adapter le système structurel aux nécessités du chantier : tous les matériaux sont bons tant qu’ils sont utilisés à bon escient.
Comment avez-vous contourné l’inconfort acoustique qui aurait pu être engendré par ces nombreuses courbes de béton laissées brutes ?
L’acoustique de la gare a été un sujet à part entière. Nous avons traité la question de l’absorption par la mise en place d’absorbants acoustiques au-dessous du niveau de toiture, généralement sur les tympans et sur les murs inférieurs. Nous tenions dans l’ensemble à ce que la sous-face en béton reste apparente. Quant à la réverbération, elle est contrôlée grâce au fait que les courbes ne sont pas des éléments continus sur toute la surface à couvrir, mais se décomposent en plusieurs éléments plus petits, qui se recouvrent les uns les autres à la manière de tuiles ; ainsi, l’infiltration de la pluie est empêchée grâce à un relevé périphérique raidissant les bords des palmes, mais l’air continue de circuler, garantissant un désenfumage naturel dans l’espace de la gare. Les eaux de pluie sont quant à elles récupérées par un chéneau positionné à l’intersection entre deux palmes, qui les conduit dans les poteaux d’extrémité.
Le confort des usagers, dans ce projet, a en fait plusieurs natures : acoustique, thermique, lumineuse… Le fait que la couverture en béton soit un élément d’architecture apparemment massif, bien qu’elle n’ait que quelques centimètres d’épaisseur, convoque pour moi une manière particulière de travailler la gravité : c’est une masse soulevée… Sur le plan thermique, des tests en soufflerie nous ont permis de générer une coque dont la forme, conjuguée à une série d’ouvrants, permettait d’activer un mouvement d’air provoquant une accélération des vents à l’intérieur de la gare – sans compter le fait qu’à l’interstice entre deux éléments de palmes, des petites buses de brumisation sont installées pour rafraîchir les usagers en été. Tous ces aménagements sont magnifiés par les éléments vitrés qui, disposés selon les orientations et les mouvements du soleil, créent une ambiance intérieure unique. Un projet qui marque les esprits repose sur le rapport à la matérialité, à la justesse de la forme, à la rencontre entre les éléments naturels et les éléments structurels, mais aussi à la gestion d’un budget… J’ai toujours pensé que l’innovation était davantage technique que formelle et qu’elle se développe au-travers des projets que l’on mène… mais il faut avant tout trouver une maîtrise d’ouvrage qui y soit ouverte.