ENTRETIEN AVEC MIRCO TARDIO
Architecte associé fondateur de Djuric Tardio Architectes
Le caractère itinérant du projet l'affranchit-il, par nature, de tout contexte urbain et paysager ?
Nous nous sommes posé cette question au moment de la conception. Le premier bâtiment allait se construire dans le Jardin du Luxembourg, extrêmement caractérisé et contraint dans son écriture architecturale. Son intégration dans le site était une préoccupation, comme c'est le cas pour toutes nos réalisations, que nous concevons en harmonie avec leur contexte. Comment donc être à la fois contextuel et itinérant ? Nous avons conçu des modules 2D préfabriqués en bois personnalisables, surtout pour les façades, autorisant une adaptation morphologique du bâtiment et une écriture architecturale nouvelle à chaque site.
La réversibilité était-elle une demande de la maîtrise d'ouvrage ? Si oui, comment l'avez-vous abordée ? Si non, pourquoi l'avoir adjointe ?
Nous ne savons pas ce que le futur nous réserve… Si la demande d'itinérance était bien celle du maître d'ouvrage, celle de la réversibilité a été ajoutée pour mieux répondre aux besoins de la ville de demain. À notre sens, il fallait prévoir une nouvelle destination possible de ce bâtiment, autre qu'une crèche. Nous avons donc imaginé une souplesse maximale du système constructif : sa « démontabilité » facilitée, la petite taille des modules et leur interchangeabilité, permettent une réversibilité intrinsèque à sa conception.
Itinérance, réversibilité, modularité : s'agit-il encore d'un bâtiment ? ou plutôt d'un système ?
C'est en effet un système constructif basé sur des méthodes d'assemblage étudiées pour qu'il soit démontable sans compromettre l'efficacité statique. Nous nous sommes inspirés des systèmes japonais et de Jean Prouvé, de son incroyable ingéniosité et de son savoir-faire d'artisan-faiseur. Il allait de soi que la richesse de ses bâtiments démontables, que nous avons eu la chance de restaurer, soit revisitée dans un sujet qui est à nouveau d'actualité.
La préfabrication était-elle la seule réponse technique possible ?
Oui, sans aucun doute, la préfabrication hors-site était la solution le plus adaptée. Non seulement elle était la seule solution pour livrer des modules finis et raccourcir les temps de chantier dans ce site très sensible, mais elle était aussi le moyen de réaliser les systèmes de connexions démontables qui caractérisent cette méthode constructive. Il était également primordial de ne pas faire de compromis architecturaux sous prétexte de réaliser un bâtiment démontable. Les finitions, les détails constructifs, devaient être assurés et la préfabrication a permis la réalisation de finitions quasiment parfaites. Il aurait été bien plus difficile de les réaliser ainsi in situ.
Pourriez-vous nous décrire la mise en œuvre de cette crèche ?
Le système se compose d'une série de portiques en acier reliés par une poutre maîtresse en bois et de trois modules 2D, d'un module caisson bois de plancher haut et bas de 1,20 × 4,80 m, d'un module caisson opaque et d'un module caisson vitré de façade de 1,20 × 2,85 m. L'ensemble est couvert d'une charpente bois classique à deux pans, également préfabriquée, et de tôle ondulée. Les modules sont des panneaux composés d'une ossature bois avec isolant, multiplis, étanchéité et vêture inox pour les parties opaques, ossature bois et menuiserie aluminium pour les parties vitrées. Ils ont été réalisés, finis et numérotés en atelier, puis livrés au rythme du montage ; aucun stockage sur le chantier n'a donc été nécessaire. Pour la construction bois qui craint l'humidité, cela est un atout majeur. Les modules 2D, bien plus compacts au transport que les 3D, ont permis de diminuer les allers-retours des camions en optimisant d'avantage le bilan carbone de l'opération, et en nous permettant de travailler avec une entreprise non parisienne. Le savoir-faire se trouve sur tout le territoire français, souvent près des matières premières. Notre volonté a aussi été d'activer les entreprises de la filière qui ne jouissent pas de la dynamique parisienne, comme un mécano, deux compagnons et un chauffeur-grutier qui ont assemblé la totalité des modules en 45 jours pour une surface de 500 mètres carrés. Le second-œuvre et les réseaux, également semi-préfabriqués, ont été posés au fur et à mesure de l'avancement du montage de l'enveloppe. Les finitions in situ ont été réduites au minimum indispensable. La totalité du chantier a duré quatre mois, préparation du terrain et fondations par micropieux comprises. Le terrain sera restitué à l'identique une fois la crèche démontée en 2022.
Pourquoi cette mixité bois/acier ? Et comment a-t-elle été arbitrée ?
Les études sur Jean Prouvé nous ont éclairés quant au système statique de ses bâtiments. Nous avons compris que ces portiques avaient des fonctions structurelles précises qui libéraient le plan et les façades des refends de contreventement. Dans une structure modulaire, cela est primordial pour permettre une certaine liberté dans les assemblages. La structure métallique primaire s'adaptait donc bien pour absorber ces efforts malgré des dimensionnements réduits, facilement démontables et transportables.
La préfabrication a-t-elle des répercussions sur vos processus de conception ?
Nous croyons beaucoup à la préfabrication pour des raisons multiples. Confrontés à la construction bois et aux surcoûts des matériaux biosourcés, nous nous sommes questionnés sur l'optimisation de la méthode constructive pour qu'elle devienne compétitive face au béton en diminuant les coûts de réalisation. Nous croyons que la construction hors site permet d'atteindre cet objectif par un processus optimisé, sans arriver à l'industrialisation, mais plutôt en rationnalisant une méthode de production en atelier. Les avantages sont majeurs : activation des entreprises sur tout le territoire où les prix peuvent être plus contenus en plus d'activer l'économie locale, meilleure qualité d'exécution, chantiers plus courts et plus adaptés à la construction de la ville sur la ville - essentielle pour la transition écologique -, enfin, la possibilité de construire avec des méthodes qui permettent une réversibilité et une adaptabilité durables des bâtiments. Avec la conception de cette crèche, nous avons voulu impliquer l'entreprise dès les phases d'études afin d'adapter la conception à leurs savoir-faire et moyens. Cela nous a permis de contrôler le détail architectural sans compromis sur la méthode constructive.
La préfabrication, qu'elle soit en béton ou en bois, n'est-elle qu'un système ?Ou peut-on parler d'architecture préfabriquée ?
En tous cas, nous n'en parlons pas en ces termes. Tout l'effort dévoué à la conception du bâtiment dans le Jardin du Luxembourg avait pour objectif de tester ce qui, pour nous, est finalement devenu la preuve qu'il était possible d'excogiter, de créer une méthode de construction biosourcée, pérenne, préfabriquée hors site, sans compromis architecturaux et qui répondait à la question de construire durablement la ville sur la ville.
Pourriez-vous nous parler de COMBI ? Est-ce une suite de vos recherches liées à ce projet de crèche ?
COMBI est le nom que nous avons donné à une déclinaison de cette méthode constructive pour réaliser aujourd'hui des bâtiments d'urgence modulaires démontables qui pourraient devenir demain des bâtiments pérennes une fois leur mission d'urgence accomplie. Les modules 2D répondent facilement aux besoins générés par la crise sanitaire, sans pour autant créer des bâtiments anonymes et sans avenir une fois démontés, car ils sont capables de répondre à toutes les règles des bâtiments pérennes même s'ils sont redéplacés.
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