ENTRETIEN AVEC GUILLAUME HANNOUN
Architecte fondateur de Moon Architectures
Quelle était la demande exacte de l'association Aurore ?
En 2013, deux ans avant le projet de la Promesse de l'Aube dans le 16e arrondissement, nous avions travaillé sur la problématique du logement des populations défavorisées en Île-de-France. La réponse consistait soit en des bâtiments publics mis à disposition temporairement et transformés comme nous l'avons fait avec Aurore dans les anciens locaux de l'INPI ou aux Grands-Voisins ; c'est ce que l'on nomme « bâtiments intercalaires », mais qui ne répondent pas à l'ensemble de la demande. Soit, en une réquisition par l'État des hôtels que l'on dit « sociaux » ; cela coûte très cher et s'avère une très mauvaise solution du point de vue de l'accompagnement social. Donc nous cherchions une solution alternative avec Éric Pliez, directeur général d'Aurore et président du Samu Social à l'époque, et Jérôme Flot, directeur du patrimoine de l'association Aurore. Pour cela nous avons creusé cette idée de « foncier intercalaire », visant la mise en œuvre d'un bâtiment temporaire sur un terrain mis à disposition, sans perte de valeur. Car le problème avec le « bâtiment intercalaire » c'est que les travaux sont faits à perte : une fois le bâtiment libéré, tous les aménagements sont démolis. Il y avait dans notre proposition cette idée circulaire d'un bâtiment modulaire et réversible, réutilisable. Avec le système constructif modulaire, nous avions une solution technique plus rapide à construire et ré-employable, car sur un terrain mis à disposition pendant cinq ans, le chantier ne peut pas durer deux ans. De plus nous donnions à l'association la garantie financière de conserver au moins 70 % de la valeur du bâtiment dans une deuxième vie, lorsqu'il serait déplacé.
Est-ce que cela signifie qu'il est plus simple pour Aurore d'investir dans un bâtiment mobile que dans un foncier pérenne ?
L'objectif est avant tout d'aller vite, et pour cela de débloquer des tensions. Dans le 16e arrondissement par exemple, le terrain était non-constructible et il y a eu, en plus, disons quelques échanges avec les riverains. .. La réversibilité de notre solution permettait donc de s'implanter sur ce foncier, ce qui ne serait pas possible avec une implantation pérenne, tant pour des raisons d'urbanisme que d'acceptabilité. Il y a aussi une problématique d'économie de projet : mettre ce type de population à l'abri repose sur un raisonnement à court terme, c'est du dépannage, il n'y a pas de vision à long terme, donc pas de développement ni d'investissement. Ce type de solution hybride permet alors d'avancer en étant soutenu par une collectivité. Cela nous a permis de faire deux projets à Paris et de mettre ainsi plus de 500 personnes à l'abri en deux ans.
Comment abordez-vous la situation d'urgence dans laquelle se trouvent les futurs usagers ?
Avec Aurore nous avons visité plusieurs hôtels sociaux, plusieurs centres, afin de comprendre le parcours des personnes accueillies dans ce type de structure. Nous avons constaté une grande diversité de situations, et ce qui m'avait vraiment frappé c'est ce besoin d'avoir un lieu à eux. Ce sont des gens ballottés dans une extrême précarité, et ne serait-ce qu'avoir la clé d'un vestiaire est déjà un réconfort. Pour un architecte c'est évidemment très touchant car la construction d'un abri est notre fonction première. Ensuite, autour de ce besoin, nous avons travaillé la notion d'intimité, avec des chambres individuelles et non des dortoirs. Enfin, entre les espaces communs et les chambres, nous avons été attentifs à créer des transitions appropriables, généreuses. Nous avions par exemple à la Promesse de l'Aube des personnes qui vivaient dans les bois depuis une dizaine d'années qui ouvraient les fenêtres en permanence car elles se sentaient oppressées. Nous avons donc travaillé toutes ses sensations, à différentes échelles, afin de permettre aux gens de se sociabiliser à nouveau, que ce soit avec des coursives généreuses ou encore des paliers traités comme des séjours partagés. Ensuite, il y a l'urgence « pratique » de leur situation, qui est une contrainte forte. Sur le bastion de Bercy, le chantier a commencé en juillet, avec l'obligation d'ouvrir une première tranche en septembre, car si des bâtiments sont là, il faut mettre des gens dedans. Vous imaginez la pression permanente. Nous n'avons pas le droit à un quelconque retard, c'est impensable. Et ce, dès le démarrage du projet ; c'est-à-dire qu'en même temps que la conception on consulte les entreprises, le dossier de mise au point de marché est fait avant l'obtention du permis de construire…
Comment le caractère temporaire de ce projet en influence-t-il la conception ?
Nous abordons ce type de projet comme n'importe quel autre, avec l'idée d'un projet pérenne, inscrit dans un site par sa volumétrie, ses matériaux, son écriture, en ajoutant la notion supplémentaire de réversibilité. C'est de cette façon que l'on travaille avec des modules qui peuvent changer la volumétrie du bâtiment lors d'un changement de site. Ainsi, à Bercy, nous sommes sur le dernier bastion de l'enceinte de Thiers encore debout. Nous avons donc beaucoup travaillé avec les architectes des monuments historiques pour valoriser le dispositif de fortification, notamment en reconstituant les talus affaissés que nous avons utilisés afin de créer des noues pour l'infiltration des eaux de pluie. Ensuite pour inscrire le bâtiment dans la continuité de l'enceinte, nous avons travaillé une écriture en strates ; le mur, puis le talus, puis notre socle foncé, le corps de bâtiment composé des niveaux 1 et 2, et le dernier niveau en bardage translucide qui s'efface car l'ACMH préférait un R+2. Tout cela est donc un habillage. Si demain un autre site demande un autre type de matériau, il suffit de changer la veste, mais le bâtiment reste le même. De même, l'intérieur est aussi flexible, on peut le transformer en résidence pour étudiants, en hôtel ou en logements familiaux.
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