Sur les hauteurs de Belleville, à Paris, l'architecture particulièrement hétérogène qui quadrille le quartier témoigne des restructurations lourdes opérées dans cet ancien faubourg. On peut déplorer ce manque d'égard au passé ou être sensible à ce collage urbain, comme l'agence Bruther qui réussit à glisser subtilement 25 logements dans l'interstice d'une barre écrasante des années 1970, et d'une forme délicatement sculptée par l'architecte Frédéric Borel.
Le nouvel édifice assume sa singularité, esthétique et formelle, sans chercher vainement à établir des continuités avec ces deux architectures autarciques.
Sa géométrie, deux volumes prismatiques à R+7 et R+4 sur rue, scellés par un troisième adossé au mitoyen, découle des règles de gabarit imposées par le PLU et de la forme trapézoïdale de la parcelle. Cette implantation pragmatique est cependant très juste : tout en effleurant ses voisines, la construction fait surgir des percées dans la profondeur du tissu urbain, dont les plans et arrière plans révèlent de fortuites correspondances. Est-ce en raison de sa façade rigoureusement tramée que le bâtiment entre en résonance avec la barre mitoyenne et ses fenêtre bandeaux ? Ou de sa silhouette biseautée en attique et de ses rideaux intérieurs aux couleurs arlequin qu'il fait écho aux formes tourmentées de Frédéric Borel ? L'opération que livre l'agence Bruther est singulière et pourtant contextuelle dans sa capacité à agir sur l'environnement et à réagir avec lui.
L'effacement de l'échelle domestique joue peut-être aussi dans cette alchimie.
Avec sa double peau de verre sur la rue passante, ses balcons filants et ses parois vitrées partout ailleurs, cet immeuble de logements ne dévoile pas d'emblée sa fonction. Cette indétermination programmatique pourrait être une récurrence dans la production de Stéphanie Bru et Alexandre Theriot. Il y a chez eux l'envie de préserver une liberté dans le développement du projet, et la volonté d'échapper aux archétypes, de déjouer les automatismes afin d'élargir la portée de jeu de chacun. Pour cette commande de logements, ils choisissent d'emprunter au programme de bureau sa technique performante : une structure poteaux-poutres qui autorise toute latitude dans l'aménagement intérieur, et une enveloppe vitrée parfaitement réglée au plan acoustique et thermique. Une exploration qui se met cette fois-ci au service de nouvelles manières d'habiter.
Le seul programme qui vaille pour Bruther, c'est la capacité d'un bâtiment à être malléable, à absorber les changements d'usages et à échapper ainsi à l'obsolescence.
Le système structurel et constructif est forcément indissociable de cette pensée. De leur expérience dans l'agence de Jacques Ferrier, chez qui ils ont fait leurs armes, les deux architectes retiennent l'organisation performante des programmes tertiaires, permise par la structure poteaux-poutres désolidarisée des façades. Un principe qu'ils décident de reconduire dans l'opération de logements parisienne. De fait, la structure de béton, par la souplesse de cloisonnement qu'elle autorise, a pu facilement digérer les évolutions du programme au cours des études. Dissociés des cloisons, les poteaux massifs de 30 centimètres de diamètre marquent fortement leur présence dans les pièces, conférant une sensation d'espace décuplée par la présence des balcons filants dans la quasi-totalité des appartements.
Désolidarisée de la structure et libérée de sa fonction porteuse, l'enveloppe entièrement vitrée ouvre des vues panoramiques sur la capitale et sur les rues faubouriennes au premier plan.
À l'exception des studios, tous les logements bénéficient de doubles orientations ou de vues traversantes. Les pièces, et même certaines salles de bain, sont dotées de grands formats de baies aux menuiseries en aluminium anodisé. Pour les architectes, l'enjeu n'est pas esthétique, même si ces façades se distinguent avec élégance, mais bien de mettre une technique performante au service de l'architecture, indépendamment du programme. L'effort financier se concentre dans cette enveloppe vitrée, les produits sur catalogue ayant permis ailleurs de rentrer dans le budget contraint du logement social. Les murs pignons sont revêtus d'un bardage standard en aluminium anodisé naturel et une membrane d'étanchéité couvre le rampant de la toiture. Quant au système d'occultation - de simples rideaux intérieurs -, il s'avère plus économique que les classiques et disgracieux volets roulants.
La gestation parfois longue des opérations immobilières peut tourner à leur avantage.
Entre le concours gagné en 2008 et la livraison des logements fin 2017, le projet a pu s'épanouir légèrement et gagner en présence entre les deux architectures fortes qui le cernent, grâce à l'acquisition négociée d'une bâtisse mitoyenne (elle était classée par la Commission du Vieux Paris). Sans changer fondamentalement les principes posés au départ, les architectes se saisissent de cette opportunité pour proposer d'établir un contrat de cour commune avec l'immeuble de logements signé Borel. La suppression du mur mitoyen permet d'ouvrir des vues principales sur le cœur d'îlot et d'aménager un jardin partagé. Toujours dans l'objectif de donner un maximum d'amplitude à ce terrain contraint, les parties communes - garage à vélos, boîtes aux lettres, hall d'entrée -, sont traitées dans une même continuité sous un grand préau à l'air libre, qui peut aussi tenir lieu de cour ou d'aire de jeux ; manière de fabriquer avec peu une unité de voisinage.
Retrouvez l'ensemble des plans et des coupes dans exé 32 spécial bardages
FICHE TECHNIQUE
LOCALISATION Paris 20, France
ARCHITECTE Bruther - Stéphanie Bru et Alexandre Theriot
MAÎTRISE D'OUVRAGE SIEMP - ÉLOGIE
PROGRAMME Construction de 25 logements sociaux et locaux d'activités
SURFACE DE PLANCHER 1 850 m²
LIVRAISON 2017
BUREAUX D'ÉTUDES ET CONSULTANTS
FLUIDES ENVIRONNEMENT Louis Choulet
ÉCONOMIE 12 Eco
STRUCTURE EVP
ENTREPRISE
GÉNÉRALE SBG Lutèce