Un RER lancé à 140 kilomètres à l’heure, un faisceau de voies de triage, l’avenue Marcel Paul et son trafic dans le virage, une conduite d’hydrocarbure en sous-sol ; le site est là, presque un polar. L’architecture du centre de formation commence nette, par un profil de deux silhouettes jumelles. Et comme sous l’influence balistique des flux environnants, elles s’étirent en deux grandes lignes sinueuses. Tout est calme. Gennevilliers, banlieue du Nord-ouest parisien, la ville d’un commun accord avec la région Île-de-France, voulait proposer un centre de formation d’apprentis (CFA) exemplaire pour valoriser les filières de l’enseignement professionnel. Pour répondre à cette noble tâche l’agence Brenac & Gonzales, lauréate du concours, a imaginé un double hangar dans un esprit ferroviaire qui rappelle justement l’ancien entrepôt des messageries détruit. C’est un bâtiment truffé de bijoux d’exécution, qui sont autant de modèles offerts aux yeux des apprentis. La parcelle allongée, 240 mètres par 40, est la gangue qui donne forme à ses corps d’argile.
Le programme, tout d’abord, réunit quatre CFA : futurs menuisiers, charpentiers, ascensoristes et techniciens de surface y trouvent, malgré leurs dissemblances, un lieu d’accueil commun. Ce regroupement renouvelle la conception du centre de formation dans une version qui, intelligemment, mutualise les services administratifs, les espaces d’enseignement banalisés et un centre de ressources.
La distribution fortement contrainte par le terrain est assez simple. Tous les ateliers se trouvent au rez-de-chaussée. Les apprentis montent d’abord depuis le hall d’entrée au niveau d’une mezzanine. Ensuite, soit ils continuent jusqu’aux salles de classe au deuxième niveau, soit aux vestiaires où ils enfilent leurs bleus de travail. Chaque atelier est alors accessible par plusieurs blocs verticaux, qui permettent de dégager les aires de travail de tous couloirs. L’atelier d’usinage se trouve naturellement au centre, étant un espace clé où les pièces sont préparées pour les ateliers de montage, de pose et de charpente. Tout au long de ce parcours, une attention constante sur les vues qui traversent le bâtiment crée d’heureuses échappées autant qu’elle permet une surveillance des jeunes élèves.
Certes, le centre est une référence faite à l’imaginaire industriel ; elle est toutefois contrebalancée par la présence de l’adresse artisanale. Cette double dénotation se retrouve à plusieurs niveaux. D’un côté, il y a la machine qui se montre elle-même avec ses organes uniquement conçus pour l’efficacité de leurs tâches. Ce sont les huit colonnes d'ascenseurs qui font l’impressionnante vitrine en triple hauteur du centre sur le parvis d’entrée. Les apprentis ascensoristes s’y activent en journée, la transparence rendant la technique pédagogiquement accessible. De même, à l’arrière, la soufflerie nécessaire au traitement de l’air pour l’extraction des poussières s’expose de façon presque expressionniste. C’est l’endroit d’une esthétique, qui à l’inverse de la boîte noire, donne à voir le fonctionnement lui-même, soit phanérotechnique.
D’un autre côté, l’artisanat est le lieu d’un savoir inscrit dans le corps et les gestes de l’artisan. Ces mêmes artisans qui ont savamment posé la couverture de bardeaux de terre cuite de 21 par 50 centimètres. Un travail remarquable : en réduisant à deux types de modules – l’un avec une modénature de recouvrement d’un seul côté, et l’autre avec double modénature – la production a atteint un volume suffisant pour créer deux filières. Le calepinage se poursuit sur toute la hauteur, de la façade au toit, avec une continuité visuelle de verticales formées par les bourrelets de recouvrement. Pour cela, les bardeaux d’arête ont été découpés sur place, absorbant ainsi les biais de toiture. Mais pour éviter d’avoir à fixer des éléments triangulaires de dimensions trop faibles, certains ont été extrudés avec une surlongueur. La passion du détail ne fait que commencer : ces lignes verticales sont respectées jusque dans les montants du mur-rideau éclairant les ateliers, dans les lucarnes qui font la taille de quatre bardeaux et dans les lames de métal perforées qui pivotent sur un axe reprenant le dessin de la modénature. Ces percements donnent tout leur sens aux deuxièmes modules, qui recréent la modénature de leurs voisins de droite absents.
Sans les hommes pour l'exécuter, la qualité d’une telle réalisation aurait été compromise, mais elle n’en montre que le résultat. Le manteau de terre cuite n’expose pas l’activité intérieure du bâtiment ni n’explicite l’extrême finesse de mise en œuvre dont elle est le fruit. C’est aussi le cas de la charpente en bois que l’on découvre avec surprise au bout du bâtiment, dans le gymnase. Sa structure en arête de poisson lui confère une élégance qui intrigue pourtant sur son système de répartition des charges.
Plutôt qu’une opposition infructueuse entre artisanat et machine, tirons-en l’exemple d’une hybridation singulière et réussie. C’est là une voie habilement tracée dans l’enchevêtrement de nos interrogations contemporaines.