Résister au contexte
Avec ses cités HLM des années 1960, Bondy avait jusque-là bon dos. Depuis peu, cette ville de la première couronne de la capitale s’est dotée d’une nouvelle vertèbre architecturale en la présence d’un auditorium et surtout du conservatoire d’enseignement du chant choral sous maîtrise de Radio France. Située à l’opposé diamétral de la « Maison ronde », cette nouvelle salle qui accueille les jeunes collégiens en formation vocale de haut niveau arbore un parallélépipède à base carrée. En lieu et place d’un ancien parking, ce programme est une aubaine pour densifier les franges de la capitale et doter ces arrondissements à venir d’équipements attractifs. Les collégiens de l’établissement voisin Pierre Brossolette peuvent bénéficier de cet outil, baptisé du nom des fondateurs du chœur des Bondinois – Angèle et Roger Triboulloy. La maîtrise de Radio France, dont les élèves étudient dans le collège Jean de la Fontaine dans l’Ouest parisien, devra faire le trajet pour travailler son répertoire jusqu’à ce nord-est jusque-là désœuvré. De plus, le Conservatoire de la Villette n’est qu’à quelques encablures de tramway pour ceux qui souhaitent embrasser une carrière professionnelle. Aussi fallait-il un bâtiment capable de résister au contexte particulièrement hétérogène et qui satisfasse les économies budgétaires et thermiques imposées. La compacité s’est imposée d’elle-même.
Une boîte qui fait signe
En référence au hangar suburbain décoré du postmoderne Robert Venturi, les architectes Brice Chapon et Émeric Lambert transcendent la forme par une subtile superposition de couches dermiques (soit vitrage, soit étanchéité sur isolation extérieure), qui arrange une silhouette gracile au gabarit maximal autorisé. Ainsi, d’un programme dont les composantes ont augmenté au fil du projet, rien ne transparaît de la densité de l’outil. Au contraire, l’édifice semble aérien, presque évanescent dans le contexte de barres habitées et de pavillons faubouriens. La dimension acoustique se lit sur la façade : les lignes bondissantes forment une interprétation des voûtes cisterciennes lorsque le chant entrait en résonance avec la pierre. Le matériau ancestral a laissé place ici au métal microperforé, une robe en feuilles d’aluminium thermolaquées blanc posées toute hauteur, soit douze mètres. Chaque arcade correspond à un élément programmatique. Les ondulations de ce voilage vibratile dans le plan vertical assurent la rigidité de l’ensemble et fournissent une apparition qui superpose le diaphane et le translucide. L’écrin gracile et rigide dévoile les étirements spatiaux en façade faisant apparaître, au sud l’entrée et le foyer, à l’ouest une salle d’exposition, lesquelles profitent de panoramas urbains à hauteur de passants. En outre, ces courbes étirent une échelle résolument humaine. Les autres faces demeurent quasiment muettes, sauf le retournement de ces échancrures dans les angles, qui renforcent la dématérialisation du volume.
Ingenioso cantabile
Le sol de la rue semble glisser sous l’architecture, aidé par la continuité de tonalité de matière coulée, avec incrustation de quartz. Cette réinterprétation du plan de Rome de Giambattista Nolli (1748) – qui laisse transparaître les espaces publics accessibles en blanc, les parties privées pochées en noir – renforce la nature quasi impalpable de l’enveloppe et abolit les limites. Les architectes œuvrent ici en superposition de couches, métallique et vitrée en façade, en béton pour la salle. Entre, ils insèrent les espaces de service. La géométrie imbrique les volumes entre eux, pour atteindre une rationalité de circulation. Les matériaux mis en œuvre sont élémentaires, sans pour autant être pauvres : sol en marmoléum gris, pré-murs en béton laissé brut qui assurent la masse nécessaire pour limiter les transmissions de bruits aériens. Divers escaliers innervent l’équipement. À l’étage, les salles de cours en façade bénéficient d’un éclairage naturel. Leurs parois biaisées en plan rompent tout parallélisme nuisible à l’acoustique, relayées par des aplats en bois perforés absorbants. Par cet emboîtement rigoureux, les architectes parviennent à introduire, par soustraction, une salle qui dispose en miroir des gradins. Sans fonction précise, elle laisse entrevoir de nombreuses appropriations. Non attribuée, elle ne rentre dans aucune case réglementaire, ce qui a permis de déroger aux garde-corps et autres dispositifs parfois plus contraignants que simplement sécuritaires. Seule, sur un côté, une galerie ouverte s’étire sur cet espace éclairé zénithalement.
Un écrin pour la voix
Derrière les différentes couches de l’oignon se dévoile l’auditorium. L’économie faite dans le reste de l’édifice est concentrée dans la performance de l’outil. Changement d’atmosphère : les parois se contorsionnent sous les calculs des acousticiens pour offrir un outil de travail au service de la maîtrise des tessitures combinées. Cette composition en contreplaqué de bouleau se plisse pour générer des réflexions et contenir les réverbérations. Derrière ces surfaces réticulées coulissent les surfaces drapées des pendrillons pour couvrir les parois latérales, et adapter les tonalités selon les besoins. Ainsi, outre les séances de travail vocal, la salle peut accueillir diverses formes de spectacle. En plafond, des panneaux suspendus apportent une tempérance supplémentaire. Malgré les dimensions compactes, nul sentiment d’oppression. Les architectes ont su trouver l’équilibre entre une certaine ampleur sonore et une relation intime entre les spectateurs et l’estrade où se produisent les choristes. Le balcon en console au-dessus de la salle renforce la convergence des attentions vers la scène, tandis qu’au fond de la salle, des orgues visuels et acoustiques font office de paravent. Derrière, en accès direct, le foyer public étire une arcade intérieure, réminiscence des rebonds de l’épiderme métallique, dont la profondeur forme une alcôve propice à des conversations, chuchotements ou autres chorus.