ENTRETIEN AVEC JEAN-PIERRE LÉVÊQUE
Architecte associé en charge du projet pour le siège régional de Nexity à Lyon
Dans quel contexte ce projet a-t-il vu le jour ?
L’immeuble de bureaux que nous avons conçu pour Nexity s’implante entre la Saône et la Balme [de Rochecardon, NDLR] et occupe le dernier îlot disponible de la ZAC de l’Industrie, à Lyon-Vaise, dont l’aménagement a été initié il y a plus de vingt ans. Le plan d’aménagement prévoyait une succession de bâtiments en forme de peigne implantés perpendiculairement à la colline. À cause de la forme triangulaire de l’îlot à investir, nous avons choisi de détourner le peigne en pliant ses dents pour les articuler avec la morphologie du site ; la dernière de ces dents occupe ainsi la plus étroite des pointes du triangle, évoquant la proue d’un navire. En liant ensuite les dents du peigne entre elles, nous avons obtenu un bâtiment dont la découpe, qui dessine des espaces extérieurs accueillis et contenus par les mouvements des façades, ressemblait furieusement à un meuble du XIXe siècle nommé le confident [meuble au dossier en forme de S associant deux fauteuils, NDLR]. Cette nouvelle figure correspondait tout à fait à la demande du programme de concevoir deux bâtiments desservis par deux halls distincts et potentiellement dissociables.
La création d’espaces de convivialité extérieurs était-elle une demande de la maîtrise d’ouvrage ?
L’une des demandes de Nexity était que le projet permette à ses usagers de travailler différemment, selon de nouvelles configurations et notamment via la conception d’espaces plus conviviaux. C’est cette dernière raison qui nous a incités à dessiner un bâtiment doté de grandes surfaces de terrasses capables de communiquer les unes avec les autres par un système de coursives, de passerelles et d’escaliers en façade, qui créent une sorte d’itinéraire bis par l’extérieur. Pour accentuer le côté spectaculaire de cet épannelage, nous avons dessiné des rampants à certains endroits caractéristiques : ceux de la proue du bâtiment nous ont par exemple permis d’aménager un amphithéâtre d’été, tandis que leur sous-face dégage un espace de mezzanine qui forme, avec l’étage inférieur, un lot de bureaux atypique. Nous l’avons appelé « le canut » en référence à cette typologie lyonnaise d’ateliers de tisserands où le bureau du chef d’atelier était installé en soupente tandis que les métiers à tisser se trouvaient dans un espace à double hauteur.
Nous avons par ailleurs dû adapter les locaux techniques à la grande étendue du bâtiment ; pour éviter les pertes de charge dans les réseaux ou la mise en place de réseaux trop importants dans les espaces de circulation, nous avons « éclaté » les locaux techniques en quatre entités différentes positionnées sur les différentes terrasses et les avons dissimulés sous une épaisseur de terrasse végétalisée formant des petites collines. Lorsque la végétation aura suffisamment poussé, seul le caillebottis permettant d’assurer les prises d’air restera visible, ce qui donnera un caractère paysager à chacune de ces terrasses sans que le côté technique de ces éléments paysagers ne soit perceptible.
La complexité de la géométrie du bâtiment semble également exprimée dans le dessin des escaliers, alors qu’à y regarder de près, il ne s’agit« que » de volées droites.
Absolument ! Le réglage des escaliers et la mise en cohérence de ces circulations avec la trame de façade des bâtiments ont été d’une complexité inouïe. La trame de la façade est assez sophistiquée : nous avons voulu lui insuffler le caractère gallo-romain de l’architecture lyonnaise, avec un principe de façade tel que ceux que l’on peut trouver sur les places romaines, partant d’une trame très large au sol et se resserrant, en l’occurrence, jusqu’au cinquième et dernier étage, pour amplifier la perspective et l’élancement du bâtiment.
Quant aux escaliers, nous avons effectivement privilégié des volées droites : outre le fait que cela les rendait plus faciles à gérer sur les plans de la statique et de la résistance des matériaux, nous voulions que le cheminement, au moment où l’on emprunte un escalier, soit droit et direct. A contrario, ce sont les paliers et coursives qui se déhanchent, induisent le mouvement, suggèrent des orientations. Chaque coursive est prise en console sur la structure du bâtiment lui-même : en rive de dalle, une poutre acier, supportée par les poteaux structurels du bâtiment, permet de reprendre une série de consoles sur lesquelles reposent les poutrelles qui forment la coursive. En rive de plancher extérieur, un IPE permet d’accrocher les PRS formant les limons des escaliers. Statiquement, chacune de ces consoles est une sorte de prolongation du plancher intérieur, ce qui, de surcroît, nous a permis d’éviter les ponts thermiques.
© Sergio Grazia
Le dessin des escaliers et de la trame de façade semblent traduire un véritable accompagnement de l’usager dans l’ascension.
En effet, nous avions remarqué dès la phase concours que nous nous trouvions dans un espace où tout semblait « s’écouler » : le flux des voitures, celui des trains, mais également la Saône voisine et la parcelle de projet, qui se termine en pointe. Tout en s’inscrivant dans cette dynamique horizontale par l’occupation de l’îlot en plan, il nous paraissait important d’instaurer des lignes et circulations verticales pour investir l’espace haut, s’accorder aux volumétries de la ZAC et dégager un maximum de vues sur les collines, à l’ouest, et la rivière, à l’est. Cette volonté se manifeste dès le socle du bâtiment ; la topographie du site imprime une déclivité de près de 2,50 mètres, soit l’équivalent d’un étage, entre les rue Joannes-Carret et Félix-Mangini [respectivement à l’ouest et à l’est et qui correspondent aux deux plus grandes arêtes de l’îlot triangulaire, NDLR]. Nous avons ainsi défini un niveau de parking accessible en partie basse, dont le pendant « intérieur » dessine un cœur d’îlot en gradins. Là, un cheminement permet de remonter la pente jusqu’aux cours végétalisées où naissent les escaliers et sur lesquelles s’ouvrent les deux halls d’accueil traversants, quant à eux accessibles depuis la rue haute. Ces halls bénéficient de hauteurs sous plafond généreuses, de même que de plusieurs espaces de travail en double hauteur. En façade, nous avons mis en place des baies très hautes avec des ouvrants toute hauteur qui, tout en offrant aux occupants des lieux des bureaux accueillants et lumineux, permettent d’accentuer la transparence entre les différents corps de bâtiment et donc leur proximité.
© Sergio Grazia
Qu’avez-vous voulu exprimer au moyen des différentes matérialités employées en façade et dans les espaces extérieurs ?
Pour le thermolaquage des façades et des éléments acier des escaliers, nous souhaitions obtenir une teinte rouille évoquant le passé industriel du quartier concerné par la ZAC. Nous avons travaillé de concert avec la société espagnole Adapta Color, qui a mis au point une teinte légèrement cuivrée que nous avons employée sur l’ensemble des revêtements des profilés métalliques. Nous tenions à ce que l’ensemble de l’immeuble de bureaux semble avoir été plongé dans un bain d’une même couleur ; ainsi, la teinte mise au point par Adapta Color a été contretypée par la marque de peintures minéralisées KEIM, de sorte que toutes les parties apparentes en béton, notamment sur le local technique le plus haut ou encore le socle du bâtiment, sont recouvertes de cette teinte parfaitement identique à celle mise en place sur les serrureries. En ce qui concerne le choix du matériau bois, mis en œuvre sur les platelages des coursives et sur les marches des escaliers, sa teinte dorée permet une proximité et une cohérence avec la teinte des peintures. Ce matériau confère par ailleurs au projet un caractère assez domestique, comme si derrière l’effet piranésien engendré par ces escaliers extérieurs se cachait un dessin presque naïf de ce que doit être un escalier : deux limons métalliques et une simple planche de bois qui permet l’ascension…