Rédigé par Jean-Philippe Hugron | Publié le 10/11/2023
Le plancher des vaches… sur l’eau ! Anecdotique ou expérimental ? Coup de com’ ou véritable alternative ? La ferme flottante de Rotterdam fait parler d’elle depuis plusieurs années, au moins depuis sa livraison en 2019. Certains – dont les militants du parti animaliste local – réclament même sa fermeture depuis la chute successive de deux vaches – fort heureusement repêchées – dans les eaux de la Meuse.
Les initiateurs de ce projet, Peter et Minke Van Wingerden, anciens promoteurs immobiliers, défendent à travers cet établissement original une vision d’avenir dont l’origine remonte en 2012, alors que le couple découvrait le nord-est des États-Unis victime de l’ouragan Sandy. À la suite de cet événement météorologique, les deux Néerlandais ont vu des millions de personnes souffrir de problèmes d’approvisionnement. La montée des eaux aussi bien que les excès climatiques à venir invitent par conséquent à penser quelques alternatives, dont celle de l’agriculture sur l’eau.
Les architectes de l’agence locale Goldsmith ont eu pour mission d’établir les plans inédits d’une laiterie et d’une étable ayant valeur de prototype à même d’être, en cas de succès de l’expérience, reproduit ici et là, à travers les Pays-Bas dont près d’un tiers du territoire est, au bénéfice de longues digues, situé sous l’actuel niveau de la mer mais encore hors d’eau.
Sur une emprise de 780 mètres carrés, Goldsmith a pris soin de superposer les fonctions : en haut, l’étable peut recevoir près de 40 vaches. En bas sont installées les salles de stockage et de transformation du lait. Le parti pris structurel adopté est simple : trois caissons en béton de 3 mètres de haut ont été associés et amarrés à deux poteaux pour former le socle d’une ossature légère réalisée en acier galvanisé. Ce matériau a été préféré à tout autre pour répondre aux conditions climatiques du lieu, notamment à l’humidité du port, à la salinité de l’air ou encore à la pollution ambiante, lesquelles pourraient favoriser la corrosion d’autres métaux.
Si le niveau supérieur – l’étable – est couvert par cinq voûtes en toile translucide, qui évoquent, dans un clin d’œil utile, les serres horticoles du pays, il est laissé à l’air libre. Les vaches y sont traites, nettoyées et nourries par robot quand elles ne vont pas paître sur le quai, qu’elles peuvent rejoindre à l’aide d’une passerelle en pente douce. Pour favoriser l’équilibre et la statique de l’ensemble, les bestiaux sont, à cet endroit, parqués afin de répartir la charge et d’éviter tout mouvement de l’ensemble.
En dessous, les ateliers de production sont protégés par des façades réalisées à partir de panneaux en polycarbonate. Le tout exhibe volontiers sa technicité, sans pudeur aucune. Dans ce décor à l’état brut, le lait produit est transformé en beurre, yaourt et autres produits laitiers. C’est également à ce niveau que l’eau de pluie mais aussi l’eau de mer dessalée sont épurées pour la consommation des vaches. Des espaces de stockage permettent enfin le vieillissement de quelques meules de gouda. La ferme flottante a été conçue pour « s’auto-entretenir » écologiquement mais aussi économiquement. La production d’énergie – notamment par des panneaux solaires installés sur l’eau à proximité – ou encore le traitement des déchets sont organisés selon un « système fermé ». Les dispositifs vont même plus loin encore et prévoient jusqu’à la collecte de l’urine et du fumier pour créer de l’engrais utile aux espaces verts de la ville. En contre-partie, la municipalité offre ce qu’elle coupe d’herbe sur ses terrains de sport en guise de fourrage pour les bêtes. La ferme flottante récupère aussi les déchets des brasseries locales, des moulins ou encore les peaux de pommes de terre pour alimenter les vaches.
L’investissement représente 2,5 millions d’euros pour un maximum de 40 vaches capables de produire 320 000 litres de lait par an. D’aucuns peuvent sourire mais il convient d’attendre pour voir si l’investissement est, sur le long terme, intéressant. Pour l’heure, promoteurs et concepteurs se retranchent derrière d’autres arguments pour favoriser le développement du projet. L’un mobilise l’enjeu pédagogique de la ferme flottante qui rend visible aux yeux des citadins la manière dont l’alimentation est produite. L’autre use d’un argument plus territorial : de nombreuses darses et autres bassins liés à l’activité portuaire de Rotterdam sont désaffectés et constituent autant de friches aquatiques dont il serait utile d’imaginer un avenir sinon une utilité. L’essor de l’agriculture urbaine, et plus encore flottante, signe un espoir pour ces espaces qui pourraient largement contribuer à diminuer la dépendance aux transports routiers et, par la même occasion, favoriser l’avènement de circuits courts. À l’aune de cette tentative, réapparaît toutefois le spectre étrange de ces années « tout automobile » qui ont vu disparaître dans les villes du nord de nombreux canaux et autres plans d’eau au profit de parkings, vastes champs de bitume. Peut-être même que cette agriculture aquatique signerait le curieux renouveau de l’urbanisme de dalle… mais cette fois flottante. Affaire à suivre.
FERME FLOTTANTE
GOLDSMITH
LOCALISATION Rotterdam, Pays-Bas
ARCHITECTES Goldsmith Company
www.goldsmith.company
MAÎTRISE D’OUVRAGE Floating Farm Holding BV
PROGRAMME Construction d’une structure flottante accueillant une ferme laitière
SURFACE 2 000 m2
LIVRAISON 2019
BUREAUX D’ÉTUDES ET CONSULTANTS
STRUCTURE FLOTTANTE Bartels & Vedder
INGÉNIERIE Alcomtec
ENTREPRISE
GÉNÉRALE Siem Steur Staalconstructies