Rédigé par Jean-Philippe Hugron | Publié le 14/10/2016
« L’architecture est le premier vecteur scénographique », indique Pierre Hebbelinck. Si l’homme de l’art a déjà réalisé plusieurs musées, le Mons Memorial Museum tient une place toute particulière dans son travail. « Fortifiés par une vision historique, nous sommes allés plus loin dans le récit architectural », dit-il. Et pour cause, cette nouvelle adresse culturelle inaugurée en 2015 à l’occasion de Mons, capitale européenne de la culture, a pour ambition de relater les deux guerres mondiales sous un jour nouveau.
« La particularité de ce projet était l’obligation de travailler, en amont, avec un historien », précise Pierre Hebbelinck. Le nom de Tony Judt est évoqué. Mais le célèbre auteur britannique, Prix du livre européen pour Après-guerre, une histoire de l’Europe depuis 1945 (Éditions Fayard Pluriel, 2010), est emporté par la maladie. « Nous voulions travailler avec lui car son approche relève de la “microhistoire” ; ses études étaient systématiquement faites à partir de personnes plus qu’à partir d’institutions. Nous nous sommes, sur ses conseils, tournés vers José Gotovitch qui a, lui aussi, l’ambition de présenter les événements à travers le regard de tout un chacun », explique l’architecte. Cette appréciation historique originale est d’autant plus essentielle que Mons était une ville de garnison où civils et militaires cohabitaient allègrement. D’ailleurs, il y existait déjà un centre d’interprétation abordant les grandes épopées belliqueuses du 20e siècle. Ceci étant dit, la désignation de Mons au rang de capitale européenne de la culture et l’expansion du tourisme mémoriel – le plus important en Belgique – ont incité les pouvoirs publics à envisager la réalisation d’un musée digne de ce nom, en lieu et place d’un ascenseur hydraulique construit en 1865 sur un vide laissé par la destruction cinq ans plus tôt des remparts hollandais. La Ville a donc organisé un concours pour la transformation de cette ancienne machine à eau en musée, et Pierre Hebbelinck en a été désigné lauréat avec son associé, Pierre de Wit.
« Nos concurrents ont été nombreux à proposer une tour pour signaler l’existence de ce nouvel équipement. Nous avons préféré un dispositif fabriquant une structure urbaine », note l’architecte. Aussi, deux extensions ont été imaginées pour accompagner le mouvement du boulevard d’un côté et celui de l’étang, de l’autre. L’ancienne structure, inspirée des serres d’Alphonse Balat ou encore de celles de Joseph Paxton, a été dûment préservée. Elle s’est révélée toutefois inappropriée, tant elle est baignée de lumière, pour exposer des objets précieux. L’endroit sert donc aujourd’hui d’accueil au public. Les deux autres volumes, de part et d’autre de ce reliquat industriel, sont, quant à eux, entièrement opaques. Ils abritent les espaces d’exposition. Aucun ne propose de configuration classique. « Une grande partie de la narration passe par l’expérience du temps. La modification de l’espace doit participer d’une perception physique des événements présentés », explique Pierre Hebbelinck. Aussi, rétrécissement, ouverture, étranglement, élargissement conduisent le visiteur à ressentir l’histoire. Il s’agissait d’éviter les cartels bavards et de donner l’opportunité à l’architecture d’exprimer un propos. Cette réflexion sur l’espace est également accompagnée d’un travail sur la matière. « Le matériau sert la scénographie. Il nous fallait à tout prix éviter d’enduire et de peindre au risque de banaliser une texture », affirme Pierre Hebbelinck. Parce que le toucher joue autant que le regard, les deux associés ont pris soin de travailler des techniques originales de mise en œuvre. À l’extérieur, la brique industrielle, trop lisse, voit ses joints « beurrés ». « Les joints de mortier ont été écrasés sur les briques – plus tard blanchies à la chaux – pour former une trame imparfaite », explique Pierre Hebbelinck. Il tient cette technique de deux architectes belges, Jacques Dupuis et Charles Dumont, qui avaient à cœur, dans les années 1950, de maltraiter les maçonneries afin que celles-ci accrochent davantage la lumière. Cet emprunt n’a pas été sans difficulté. Il a fallu convaincre des artisans de se prêter à un exercice nouveau. « Je tiens à ce travail d’excellence ; nous y consacrons, à l’agence, beaucoup de temps. Nous voulons aller toujours le plus loin possible dans la finesse d’exécution », souligne-t-il. L’intention n’était par ailleurs pas uniquement plastique. Il s’agissait aussi de réactiver des savoir-faire locaux et de les valoriser. D’autres techniques ont été, en ce sens, appliquées, notamment au sein d’un espace mémoriel, une « crypte en creux » où les murs de brique présentent, cette fois-ci, des « joints baveux ». « Nous souhaitions, là aussi, une hyper texturation de la matière. Nous avons également pu créer en travaillant ces joints deux empreintes de la taille d’un corps humain. Elles représentent le premier et le dernier soldat anglais tués en Belgique... c’était à Mons », précise l’architecte.
Le Mons Memorial Museum traduit ainsi dans son architecture un propos historique. Il en allait aux yeux de ses architectes d’une « tentation », mais aussi d’un « engagement ». Il fallait, en somme, inscrire l’Histoire dans le marbre... du moins dans la brique.
Article paru dans exé 25 spécial extension (sept.oct.nov)