Rien n’en témoigne, mais le site est à Amiens, au milieu des champs, perdu dans les vallonnements. Seule la tache rouge du Zénith de Fuksas qui pointe sur les nuances de vert nous rappelle la ville. Une mise à l’écart d’un programme sensible qui n’est que provisoire : en face du crématorium, la construction d’un millier de logements est prévue dans une procédure de ZAC dont l’ampleur ne cesserait d’interroger si elle n’était entre les mains éprouvées d’un Devillers. Le symbole d’un quartier qui s’ancre autour d’un lieu émotionnellement chargé plaît aux architectes de PLAN.01, retenus à la consultation de conception-réalisation lancée en 2012. La tendance à l’oubli est pour eux un travers de notre société. Pour l’instant, c’est un cylindre blond qui se dresse comme un totem sur le paysage, percé de deux rectangles qui ne découvrent qu’une lasure dorée, une porte d’entrée monumentale. C’est celle du défunt.
Un espace ainsi destiné à la mort s’emplit nécessairement d’une puissance sourde, d’un je-ne-sais-quoi atmosphérique qui tire la pensée, d’un silence déchiré sans bruit par le drame intérieur. Et sans doute l’architecture n’y est-elle pour rien, tant il s’agit d’une construction culturelle. Or, justement c’est d’architecture qu’il est question, mais que peut-elle en face d’un sujet si délicat ? Avant tout accompagner.
Avec la visibilité attribuée à l’entrée du défunt, le ton est donné, c’est d’abord un lieu pour se recueillir autour de lui. La technicité pourtant complexe du four et des filtres passe au second plan ; on ne verra pas de cheminée. Les proches s’acheminent par deux accès latéraux qui permettent d’atténuer la présence des parkings et de pénétrer, tout en descendant la pente, par le jardin du souvenir. Dessiné avec les paysagistes de Sempervirens, c’est un véritable site funéraire qui au-delà des cérémonies accueille des lieux de dispersions des cendres, des chemins de déambulation et quelques columbariums ; un paysage mnésique. Le bâtiment, lui, se découvre progressivement, comme des bulles se formant une à une. Le béton matricé en lignes verticales garantit aux cylindres des finitions courbes en faisant l’économie de coffrages complexes. Ces cercles qui peuplent la pente avec un doux coloris de pierre n’appartiennent à aucune forme ordinaire. Une stratégie, justement, de tenir les références quotidiennes à l’écart pour faire de cet endroit un lieu à part. Quand on sait que les budgets ont un sens limité de l’extraordinaire, cela devient une gageure. Le dispositif concentrique prolonge ainsi la logique du crématorium de Rennes Métropole livré en 2009, avec peut-être un degré d’abstraction accru. Depuis l’entrée principale, les deux salles de cérémonie sont distribuées sans heurts, les hommes glissant avec le naturel d’un fluide entre les ondulations des murs préfabriqués. Sous la dalle de béton laissé brut, aucun poteau, sauf en rive devant les baies. Les 25 centimètres de béton armé ramènent les efforts jusqu’aux refends sur des portées d’une dizaine de mètres. Le hall recentre l’espace autour de la lumière descendante d’un oculus de 4 mètres, posé sur deux poutres en verre. Quatre plantes y sont rassemblées, faisant la ronde, comme tenant un colloque silencieux.
Deux entrées secondaires permettent aux groupes qui quittent les lieux de ne pas croiser ceux qui arrivent. La volonté d’apaisement déjoue ici les besoins de performance d’un service public dont l’activité s’est considérablement développée en quelques décennies. Qu’importe, pour les concernés il faut rendre les minutes précieuses, donner à l’air sa sérénité. Chacune des salles de cérémonie s’ouvre largement, mais latéralement sur la végétation… sur un extérieur rendu intime par la topographie. Les panneaux de 88 x 410 cm suivent l’arc de cercle en facettes régulières, portées par des poteaux en aluminium blanc qui se confondent dans les voilages. Le mur-rideau passe habilement devant la dalle, procurant de l’élévation à l’intérieur et supprimant visuellement l’épaisseur de l’acrotère en façade.
Cette compagnie végétale n’est cependant qu’un cadre, le centre de l’attention se portant évidemment sur le cercueil. Sa visibilité, mais surtout son retrait ont été résolus par une solution scénique simple : un rideau blanc enveloppe la bière qui est ensuite emmenée. Une pièce à part permet à ceux qui le souhaitent d’assister à l’introduction. Sous la lumière aérienne qui perce le plafond, l’urne est enfin déposée sur une stèle de basalte, unique rappel de la matière constituant les blocs du jardin.