ENTRETIEN AVEC CHRISTOPHE CHARON
Associé et directeur du projet Hypérion, JEAN-PAUL VIGUIER ET ASSOCIÉS
En quoi l’usage imposé du bois en structure a-t-il influencé votre processus de conception ?
Les structures béton ou acier offrent des possibilités importantes en reprise de charges, nous avons, avec le temps, perdu l’habitude de réfléchir en termes de structure – les ingénieurs parvenant toujours à trouver une solution pour réaliser nos dessins. Avec le bois, il faut dès les premiers traits penser à une volumétrie rigoureuse et apaisée. Une ossature bois demande une parfaite superposition des porteurs, le matériau ne supportant pas la flexion, les porte-à-faux sont donc réduits. L’architecture et la volumétrie de l’immeuble prendront en compte la préfabrication et la découpe en atelier. En contrepartie d’un volume simple, il est possible de développer des balcons en console accrochés aux poteaux porteurs. Ils sont un événement, une folie qui, en captant la vue et l’attention depuis le sol, favorisent l’intégration urbaine, l’acceptation de la grande hauteur et suscitent le désir de venir vivre dans l’immeuble.
Dans ce projet, quels critères ont été les plus dimensionnants ?
Un critère contraignant pour la construction d’un immeuble de 50 mètres à ossature bois et à composants de façade en bois est l’obtention d’un avis technique expérimental (Atex) face à des points bloquants techniques ; la résistance au feu des parois à ossature bois et la non-propagation du feu en façade, l’étanchéité des façades, l’intégration des menuiseries dans les façades bois, la problématique acoustique notamment dans les basses fréquences, l’extension de l’emploi du CLT aux bâtiments de 4e famille. La tour Bois est soumise à la règlementation parasismique. La modélisation nous a permis de constater que les efforts générés sous cas sismique sont dimensionnants vis-à-vis des efforts induits par les effets du vent, ceci prenant pour hypothèses des valeurs de charges de vent défavorables. Nous n’avons donc pas envisagé d’effectuer d’essais en soufflerie, étant donné que ces derniers n’auront pas d’influence sur le dimensionnement. Sur le plan acoustique, les planchers sont composés de CLT associé à une chape flottante et un faux plafond en plaques de plâtre. Ainsi conçus et testés en laboratoire, ils présentent l’un des meilleurs résultats du marché (Lnw+Ci = 52dBA). La gestion des jonctions, primordiale dans les bâtiments à ossature bois, sera traitée au moyen de joints résilients et de doublages adaptés.
L’usage du bois vous a-t-il poussé à innover ? Dans quelle mesure ?
C’est l’usage du bois dans la construction qui est innovant. En effet, s’il était acquis d’élever des immeubles de plus de sept étages et dotés d’une charpente en bois au 18e siècle, les compagnons charpentiers ayant appris à maîtriser ce matériau unique et bon marché pour élever des habitations toujours plus hautes prises dans le carcan des fortifications protégeant les villes, ce savoir presque oublié est aujourd’hui en pleine reconquête. C’est grâce à l’alliance du bois et du béton, par une mise en œuvre associée, qu’il est possible d’élever 18 niveaux. Ces bâtiments innovants employant de plus en plus de bois d’œuvre seront construits plus vite et présenteront un bilan en termes d’analyse du cycle de vie (ACV) toujours plus performant.
Pourriez-vous nous décrire le type de mise en œuvre structurelle primaire pour lequel vous avez opté ici ?
Les fondations se composent de pieux en béton ancrés dans les marnes, liaisonnées par un réseau de longrines portant une dalle faisant diaphragme, conformément aux préconisations sismiques. Un radier sous le noyau de contreventement fait fonction de liaisons parasismiques des fondations. La superstructure est composée d’un socle en béton sur les trois premiers niveaux et d’un noyau béton de contreventement pour les niveaux supérieurs. La structure poteaux-poutres en LVL ou en lamellé-collé supporte les planchers en CLT des niveaux R+3 à R+17. La façade est un mur-manteau non porteur à ossature bois.La nécessité du socle béton résulte de fortes contraintes liées au règlement incendie, induites par l’interaction entre un parking et les logements. Le choix d’un noyau central en béton découle de contraintes liées à la réglementation incendie qui impose l’utilisation de matériaux incombustibles en 4e famille. La stabilité générale sous vent et séisme impose également un noyau en béton constituant un point dur par lequel passe l’ensemble des efforts horizontaux jusqu’aux fondations. Enfin, le noyau béton permet le passage des réseaux dans les gaines techniques incombustibles sans usiner de nombreuses réservations dans les planchers en CLT.
Les éléments bois visibles en façade sont des bardages, la structure primaire en bois n’est donc pas visible depuis la rue. Est-ce un choix ou une conséquence réglementaire ou normative ?
Concevoir un immeuble en bois c’est pour l’architecte le souhait de montrer cette matière le plus possible, hélas l’exposition au soleil et aux intempéries transforme sa couleur. Soucieux de la pérennité de notre immeuble, nous avons choisi de ne pas donner à voir le bois directement en façade. C’est donc la sous-face protégée des balcons que nous avons habillée de bois ; visibles depuis le sol, les plans horizontaux des balcons en bois s’opposeront à la couleur claire de la façade.
Qu’en-est-il de la réalité économique de telles solutions ? Seront-elles un jour aussi compétitives que des techniques plus usitées ? Le choix de retenir une structure en bois pour une construction a un impact que l’on estime au minimum à 10 % pour un immeuble de hauteur plus faible (R+6). Nous dépendons actuellement des bois du nord et de l’est de l’Europe sans possibilité d’approvisionnement en France. Les coûts baisseront lorsque la filière utilisera des bois indigènes. Il est cependant intéressant d’opposer ce surcoût à certains avantages comme la rapidité d’exécution en chantier. En effet, l’absence de délais de coffrage et de séchage promet un bâtiment plus vite achevé. Un autre intérêt est l’assurance d’un chantier propre et sec, produisant moins de nuisances sonores. En coût global dans un environnement très contraint, certaines réalisations peuvent afficher des surcoûts moindres… Dans le cas d’un édifice de 50 mètres de haut, le surcoût serait de 20 à 25 %, mais il peut être plus élevé selon la complexité architecturale propre à chaque projet.
Quel est votre sentiment sur le développement de la constructionbois en hauteur ? Identifiez-vous des facteurs restrictifs liés à la nature même du matériau ? Il est probable qu’en se développant, les solutions bois deviennent plus compétitives ; il est cependant important que les constructeurs ne s’enferment pas dans un dogme, « construire à tout prix en bois », mais utilisent plutôt ce matériau lorsqu’il présente de réels avantages en l’associant à une structure mixte qui saurait mettre en valeur les propriétés mécaniques de différents éléments hétérogènes.
Entretien paru dans exé 28 : Escaliers (juin/juillet/août 2017)