Rédigé par Jean-François Pousse | Publié le 23/11/2017
Villa d'Adda est un gros village de 4 800 habitants étiré le long d'une dizaine de rues étroites, à une quinzaine de kilomètres à l'ouest de Bergame. Depuis quelques années, ses vieilles maisons se transforment, abîmées par des ajouts malheureux : ouvertures de garage taillées net, façades bien propres passées à la peinture en lieu et place de l'admirable simplicité des enduits à la chaux qui savaient prendre les rides du temps. Rescapée de l'envahissement de ce goût sans goût, la Torre del Borgo dominant les toits de tuiles romaines donnait le change de loin avec sa fière allure de donjon, édifice si fréquent dans les bourgs séculaires de la belle Italie. Mais de près, la vérité sautait aux yeux. Vide, désertée, pantelante, elle menaçait ruine, travaillée par des désordres structuraux graves. La décision prise par la commune de la sauver en la transformant en bâtiment public - une bibliothèque -, pour être courageuse l'était moins que de faire appel aux CN10Archi-tetti connus pour leurs réalisations nettement contemporaines, la proximité immédiate de leur agence (à peine cinq kilomètres) ayant sans doute compté aussi.
Le nom de Torre prête au change. En fait, de la petite place qui la borde au sud, la réalité s'avère plus riche. Au centre, la tour (R+4) se poursuit presque sans rupture à l'ouest par une autre plus basse d'un étage. À l'est existait une maisonnette (R+1), détruite pour faire place à un ajout, on le verra, stratégique. Enfin, un quatrième bâtiment d'un seul niveau, prévu sur le côté ouest de la placette, remplacera dans la deuxième phase des travaux, qui débutera en 2018, une « maison de poupée », elle aussi de deux étages, déjà démolie. Pour transformer les lieux fallait-il encore qu'ils soient sauvés, restaurés et sécurisés. De l'extérieur, rien n'a changé ou presque. En fait, pour être exact, les traces des années, mais pas toutes, se lisent partout. Une fois supprimé l'enduit au ciment piteux de la petite tour, la pierre des origines se révèle la même, quoique souvent de moindre taille, que celle de la haute tour centrale. Pas grand-chose et pourtant une décision essentielle. L'une et l'autre à nouveau associées font un tout plus compact et puissant. Sans mensonges. Les cicatrices d'accidents demeurent, l'inverse d'un ravalement de façade ou des artifices de la chirurgie esthétique. D'anciennes fenêtres resteront bouchées, d'autres dans la petite tour ont été juste restaurées.
Il y a pourtant, même s'ils sont mesurés, des signes d'intervention contemporaine.
Là-haut, les génoises des toitures d'ardoise ont changé ; avec leurs vitres claires aux châssis à peine visibles, elles sont posées en retrait des façades pour en révéler l'épaisseur. Surtout à l'est, à la place de la petite maison d'antan, une adjonction taillée de biais discrète mais typée s'enveloppe de lames de cuivre. Avant d'évoquer sa fonction, l'entrée centrale avec son arc en plein cintre et ses portes elles aussi vitrées s'ouvre sur un petit hall et la banque d'accueil. Au-dessus, presque à portée de main, une passerelle longitudinale, en léger zigzag, gris sombre, tranche, dure, sur la voûte passée au blanc. Caparaçonnée de métal, elle fait irruption dans ce monde de pierres sèches juste rejointoyées après consolidation par injection. Un moment d'hésitation, et puis, au-delà d'une ouverture taillée dans le gros mur à main droite, le regard est attiré par le départ d'un escalier, gris lui aussi, installé dans le petit bâtiment tout neuf mentionné plus haut, calepiné de cuivre, façade et toiture compris. Limon et mains courantes d'un seul tenant, marches et contremarches, faces et sous-faces font un même corps en tôle, une drôle de bête anguleuse, qui grimpe au premier étage, rejoint la passerelle et le deuxième niveau avant de se glisser dans le donjon et de finir tout là-haut, au cinquième sous la charpente.
« CE DIABLE D'ESCALIER PREND D'ASSAUT L A VIEILLE BÂTISSE, NON POUR L'INVESTIR, MAIS EN ARTICULER LES PARTIES… »
La messe est dite. Ce diable d'escalier prend d'assaut la vieille bâtisse, non pour l'investir, mais en articuler les parties, les mettre en valeur sans oublier de se montrer à la fois vigoureux et pratique. Il n'était pas possible d'encombrer le hall, d'où la création de l'escalier décalé à l'est. Au cœur de la tour centrale, au contraire, il se déploie grand, large, desserte de tous les espaces, en particulier les salles de bibliothèque qui seront installées dans la petite tour ouest, mais aussi événement, meuble, sculpture, architecture. La structure de métal reprise par des poutres fichées aux murs disparaît sous les plaques d'acier, lisses, sans vis apparentes, dont les joints creux évoquent les écailles d'une carapace qu'éclairent des lignes encastrées de LED. Les sols en béton coulé sur des bacs acier déclinent encore des gammes de gris, parfois presque noir selon la lumière.
Curieusement, toute cette puissance télescopée à celle des murs à cru, vieux, rugueux, cabossés, non seulement ne s'y oppose pas, mais la rejoint, s'en nourrit. Passé et présent face à face, confrontés, sont plus forts à deux que seuls, plus forts ensemble.
FRISE
L'ouvrage en acier parcourt les trois corps de ce petit édifice ; les deux premiers historiques en pierres maçonnées et révélées, le contemporain en béton bardé de cuivre. Au vu des surfaces existantes et ajoutées, il semble bien monumental, presque trop, alors il se fait étagère, bureau, pupitre et espace de rencontre comme pour justifier sa présence. Présence qui finalement dote l'ensemble d'un supplément d'échelle, d'une fonctionnalité nécessaire à sa pérennité.
Article paru dans exé 28 : Escaliers
FICHE TECHNIQUE
♦ LOCALISATION Villa d'Adda, Bergame, Italie
♦ ARCHITECTE CN10ARCHITETTI - Gianluca Gelmini
♦ COLLABORATEUR Andrea Pressiani
♦ MAÎTRISE D'OUVRAGE Ville de Villa d'Adda
♦ PROGRAMME
Réhabilitation d'une tour fortifiée en bibliothèque municipale
♦ SURFACE NETTE 1 000 m²
♦ COÛT DES TRAVAUX 900 000 euros HT
♦ PROJET 2006-2012
♦ CHANTIER 2012-2015
BUREAUX D'ÉTUDES ET CONSULTANTS
♦ STRUCTURE Professeur Lorenzo Jurina
♦ FLUIDES Studio Tecnico Mazzola Livio
♦ ÉLECTRICITÉ Alfredo Ravasio ingénieur
♦ SÉCURITÉ Matteo Maggioni architetto
ENTREPRISES
♦ GROS ŒUVRE Alissa Costruzioni
♦ MAÇONNERIE PIERRE La Compagnia della pietra
♦ VRD Mazzoleni Giuseppe
♦ ÉLECTRICITÉ Helpi
♦ MENUISERIE Giuseppe Mazzola, Alfredo e Stefano Turani
♦ PEINTURE Mauro Cavalli
♦ RESTAURATION ARCHITECTURALE Cocciopesto Restauri
♦ COUVERTURE CUIVRE RCR
♦ PLÂTRERIE Quadri e Bonasio
♦ MENUISERIE EXTÉRIEURE Sideros Acciaio