Il est de ces projets qu’une expression suffit à décrire. La House of would est de ceux-là. Avec sa rationalité onirique, elle est un oxymore à elle seule, subtile figure de style architectural et littéraire. Elle est un cadavre exquis des souvenirs nostalgiques, parfois contradictoires, voire loufoques, de sa propriétaire Isabelle – un chalet alpin, un conteneur au milieu de la forêt, un environnement animalier, etc. –, auxquels se mêlent des idées spontanées : « et si je pouvais prendre le soleil sans que personne ne me voit ? », « et si mes chiens pouvaient passer librement sous la maison ? »… D’où le surnom de « maison des “et si” », traduit par House of would.
Cette histoire atypique commence dès le prologue, quand la jeune femme pousse la porte de l’agence madrilène ELII ; Uriel Fogué, Eva Gil et Carlos Palacios. Elle prend alors contact avec les architectes pour réaliser les fondations de sa future habitation, choisie sur catalogue. Mais elle s’aperçoit rapidement que cette « fiction préfabriquée », comme la nomment les membres d’ELII, ne correspond en rien à ses attentes. Ensemble, ils décident de concevoir la villa de ses rêves sur un terrain pentu de 1 200 mètres carrés situé à Pedrezuela, dans la banlieue nord de Madrid.
Parmi les arguments qui l’avaient décidée à opter pour un logement clé en main « en kit » : un coût réduit et la rapidité d’exécution. ELII devait donc proposer mieux et pour le même prix. Pour rivaliser avec cette offre bon marché, les maîtres d’œuvre conservent le principe constructif, un socle en béton armé coiffé d’une structure bois préfabriquée, mais le conjuguent avec qualité et écologie grâce à l’utilisation des panneaux klh en contrecollé de résineux, qui n’ont rien d’un système rapporté mais ont fait partie de l’équation dès le départ. « klh et son distributeur Altermateria étaient très intéressés par la House of would, car habituellement les gens leur envoient une esquisse et ils doivent la modifier pour que ça colle à leur système. Nous n’avons pas fait ainsi. […] Nous avons trouvé le moyen de faire un projet complexe, apparemment libre, à partir de règles très précises qui de prime abord paraissaient restreindre les solutions possibles. » Grâce à cette collaboration fructueuse, il n’a fallu que 21 600 minutes – et donc une main d’œuvre réduite – pour assembler les 75 pièces de ce puzzle, perché à 60 centimètres du sol sur de fins potelés métalliques. Les chiens peuvent donc se faufiler sous le plancher pour atteindre le patio, comme la cliente le souhaitait !
Zone traditionnelle de l’habitat espagnol, cet atrium central est le pivot du plan en spirale qui épouse la déclivité naturelle du terrain : du haut du site, la partie « publique », au bas, plus privé. Grâce à la pente, personne ne soupçonne que la volumétrie fantaisiste du bâti camoufle en réalité une composition on ne peut plus rationnelle de sept modules préfabriqués symétriques. Ce procédé constructif s’adapte parfaitement à la flexibilité d’occupation souhaitée par la propriétaire, car les pièces ont toutes les mêmes proportions ; elles peuvent donc remplir plusieurs fonctions, mais aussi s’adapter à un changement de situation. Isabelle, pour le moment célibataire et sans enfants, peut n’utiliser que deux des trois parties de la maison si elle le souhaite. Entre chacun de ces espaces, deux rampes translucides accolées à des patios apportent lumière et intimité : les leitmotive de cette habitation aux deux visages, ouverte côté cour avec un revêtement en polycarbonate et fermée sur l’extérieur, cachée derrière son habit de chêne rouge dont les lames proviennent d’une scierie locale. Cette entreprise valencienne ne savait que faire de ces pièces débitées pour un précédent chantier annulé à cause de la crise… En plus de recycler un lot qui devait partir à la poubelle, les architectes ont ainsi récupéré du bois de qualité pour un prix dérisoire ! Il leur a ensuite suffi de diviser cette façade en zones, en fonction des dimensions, pour trouver les morceaux existants appropriés puis les ajuster sur site. « Nous avons dû coordonner deux systèmes antagoniques, livrent les concepteurs. Un super technologique, comme la structure klh ou les panneaux de polycarbonate, industrialisés et montés rapidement sur chantier ; et un autre super classique, avec une entreprise familiale du cru. » Artisanal versus industriel, traditionnel versus contemporain, onirique versus technique… cette villa, en plus d’être « un espace de postproduction de mémoire, d’expériences et de souhaits », est décidément un paradoxe « personnifié »…
► Projet paru dans exé 16 : Préfabriqué
FICHE TECHNIQUE
♦ LOCALISATION Pedrezuela, Madrid, Espagne
♦ ARCHITECTE ELII – Uriel Fogué, Eva Gil, Carlos Palacios
♦ COLLABORATEUR Enrico Forestieri
♦ MAÎTRISE D’OUVRAGE Privée
♦ PROGRAMME Maison individuelle
♦ SURFACE NETTE 210,90 m²
♦ CHANTIER Mai 2011 - Juillet 2012
BUREAUX D’ÉTUDES ET CONSULTANTS
♦ GÉOMÈTRE Samuel Escudero
♦ STRUCTURE Mecanismo S.L.
♦ FLUIDE Nieves Plaza
ENTREPRISES
♦ GÉNÉRALE Dionisio Torralba Construcciones
♦ STRUCTURE BOIS Altermateria
FOURNISSEURS
♦ PANNEAU BOIS KLH
♦ POLYCARBONATE Gallina