ENTRETIEN AVEC CHRISTOPHE OUHAYOUN
Koz Architectes
Pourriez-vous nous expliquer le contexte de ce concours ?
C’était un concours en conception-promotion, nous étions mandataires, en cotraitance avec ASP Architecture, un architecte local, associés à Bouygues et Eiffage en entreprise générale. Il y a trois ans de cela maintenant.
À quel stade du projet en êtes-vous aujourd’hui ?
Nous avons achevé le PRO il y a deux mois, la phase de validation par le bureau de contrôle est en cours avec un Rict (rapport initial de contrôle technique) terminé, le projet est donc définitivement conforme et peut démarrer. La commercialisation est en bonne voie. Les travaux doivent commencer en juin 2017. Après trois années d’études, nous avons levé les verrous liés à la partie réglementaire, notamment au niveau des assemblages pour lesquels les logiciels utilisés ne sont adaptés qu’au béton.
En quoi l’usage imposé du bois en structure a-t-il influencé votre processus de conception ? Le sujet bois nous intéresse, nous avons de l’expérience, on a livré récemment un R+5 en bois à 100 %, et nous avons bien évidemment accepté le défi d’un R+11, alors que personne ne l’avait fait jusqu’à aujourd’hui, que les contraintes sismiques à Strasbourg sont les plus élevées et que nous avons de plus fait le choix du tout bois en structure ; pas de béton, y compris pour les noyaux verticaux. Le projet a donc été conçu dès le départ comme un projet bois. Les trames ont été précisées immédiatement, un système de découpage entre les plots nous a permis de faire cohabiter CLT et ossature, et un système de façades porteuses a été validé dès le départ également, car celles-ci doivent plomber jusqu’au sol en regard des contraintes sismiques. Nous avons donc conçu ce projet avec des spécificités qui ne pourraient pas être assurées par une autre technique constructive.
Est-ce vraiment un IGH au sens réglementaire ?
Non, surtout pas, il ne faut surtout pas faire cela pour l’instant ! Aujourd’hui nous ne savons pas faire, mais la filière y travaille et ce sera sûrement possible demain.
Dans ce projet, quels critères ont été les plus dimensionnants ? incendie ? inertie ? séisme ? acoustique ? stabilité au vent ? …
Les problèmes sont arrivés par couches empilées, et chacun a des incidences sur l’autre. Quand nous faisons le choix d’un plancher en CLT avec chape béton, nous surchargeons, donc nous affectons la structure. Quand nous choisissons un noyau bois, nous ne pouvons plus contreventer, donc ce sont les façades et les refends qui prennent le relais. Tous les choix ont une incidence directe, tout est lié.
L’usage du bois en structure primaire vous a-t-il conduit à innover ? Dans quelle mesure ? À quel sujet ?
Oui, bien entendu ! Il y a surtout eu un débat d’experts ; le panneau CLT a des caractéristiques techniques que l’on maîtrise assez bien, par contre, l’assemblage et la transmission des efforts restent des sujets à débat. Nous avons opté pour un système innovant de « muraillère » pour assembler les panneaux horizontaux et verticaux. Pour commenter cela, nous avons effectué une descente de charges qui s’est avérée 50 % inférieure à une descente de charges classiques en béton. Inquiet, le bureau de contrôle a effectué de nouveaux calculs et est arrivé aux mêmes résultats ; ils ont malgré tout choisi un dimensionnement des fondations comme si c’était du béton, avec une mesure conservatoire. Les précautions prises ainsi prouvent à quel point les incertitudes perdurent.
Pourriez-vous nous décrire le type de mise en œuvre structurelle primaire pour lequel vous avez opté ici ?
C’est un peu compliqué. L’îlot est très dense, donc ce que l’on a essayé, c’est de retrouver du linéaire de façade, avec trois plots reliés par un soubassement en R+3, avec une typologie de logement en angle côté jardin, des logements traversants sur rue et jardin entre les plots. Le rez-de-chaussée est en béton, les inter-plots sont en ossature et les plots en CLT, noyaux des escaliers et cages d’ascenseurs compris. Pour des raisons économiques, l’épaisseur des panneaux CLT s’affine au fur et à mesure que l’on monte, avec toutes les questions de raccords que cela pose.
Qu’en est-il de la réalité économique de telles solutions ? Seront-elles un jour aussi compétitives que des techniques plus usitées ? Le budget aujourd’hui est de 1 650 €/m², mais tout n’est pas bouclé. Ce qui est un budget assez élevé pour la ville de Strasbourg. Et qui dépasse d’un peu plus de 10 % les budgets classiques en béton. Mais il faut tenir compte des phases d’études qui sont quasiment multipliées par deux, car c’est un monde plein d’inconnues ; trois ans pour développer ce projet démontrent qu’il y a eu plus d’étapes à valider, que les habitudes réglementaires sont plus complexes. Mais il est évident que lorsque la filière sera clairement structurée, les prix vont baisser.
Quel est votre sentiment sur le développement de la construction bois en hauteur ?
L’Adivbois a fait un bon travail. Je pense que c’est un bon moyen démonstratif de prouver que l’on peut faire des choses extraordinaires avec le bois. C’est un bon moyen de tester les limites de ce matériau. Après, je ne suis pas sûr que l’avenir du bois se situe dans la hauteur, c’est la mixité qui est intelligente, bois-béton, bois-métal.
Entretien paru dans exé 28 : Escaliers (juin/juillet/août 2017)