Il nous est bien difficile aujourd’hui de ressentir ce qu’étaient les rues françaises avant le développement du tout-à-l’égout et du ramassage des ordures. Lieu de déversements multiples qui faisait le bonheur des équarrisseurs et autres chiffonniers, et parfois même celui des croque-morts, elles recevaient également le contenu des pots de chambre de tous les habitants. Développement des villes, croissance démographique, progrès industriels et théories hygiénistes rendent indispensables la gestion raisonnée de tous les déchets produits par l’activité humaine. À l’image des cimetières historiquement établis hors les murs, les premiers dispositifs d’assainissement collectif voient le jour en périphérie des cités dans la première moitié du xxe siècle, précédés par la réalisation des premiers systèmes souterrains d’évacuation au xixe siècle. Le pays compte quelque 19 500 stations d’épuration aujourd’hui. Le processus industriel, filtre physico-chimique ou biologique, est complexe et se fait par étape ; les eaux usées traversent des dispositifs successifs qui filtrent progressivement les différents polluants qui les souillent. À la sortie, les eaux sont épurées et réinjecter dans le circuit naturel, les boues obtenues sont incinérées, mises en décharges ou utilisées comme engrais. Celle d’Évry a été construite en 1974, au bord de la Seine, augmentée une première fois en 1991, elle a fait l’objet d’une nouvelle phase de transformations initiée par un concours lancé en 2003.
Préfectureet chef-lieu de l’Essonne, située à 26 kilomètres au sud-est de Paris, Évry était une ville nouvelle construite entre 1969 et 2001. Rectangle presque parfait formé par l’autoroute du Soleil à l’ouest et la Seine à l’est, elle voit le ru de l’Écoute-s’il-pleut prendre sa source à son extrême nord-ouest tandis qu’elle jouit d’un environnement fluvial attractif composé d’écluses, chemins de halage et autre cercle nautique. Mais c’est aussi une agglomération de quelque 53 000 âmes au découpage fonctionnel implacable ; grands ensembles, équipements, bureaux et quartiers pavillonnaires se succèdent le long de grands axes fédérateurs. Et c’est à l’extrême sud-est, en contrebas d’un coteau qu’est situé l’enclos honni que le développement urbain a rattrapé. Organe absolument indispensable de nos cités modernes, il en est finalement exclu, physiquement et symboliquement. C’est après ce constat que Marc Armengaud, Matthias Armengaud et Alessandra Cianchetta de l’agence AWP ont orienté leur travail vers plus d’hospitalité et d’ouverture. Malgré la sensibilité du sujet, il s’agit bien d’un équipement public qui doit donc recevoir le même traitement, la même attention qu’une école ou un gymnase. Ils ont donc dépassé le programme du concours qui demandait simplement que l’infrastructure soit visitable ; tel un morceau de ville reconstitué, ils ont conçu leur proposition autour d’un circuit de visite qui s’appuie sur les axes fondateurs de la station et relie l’ensemble à l’environnement proche, redéfini concomitamment.
Révélerle procédé industriel d’épuration en le rendant lisible et accessible, c’est ainsi que les architectes d’AWP comptent lui redonner sa place et sa fonction ; à l’échelle du territoire, de la ville et donc de la vie. La rénovation des bâtiments existants et la construction de quatre nouveaux édifices sont alors l’occasion d’une réorganisation du plan-masse structurée par un circuit de visite pédagogique tout en respectant l’ordonnancement et la logique d’origine. Le filtre par lequel passe l’eau devient celui du site entier ; symbolique, visuel et efficient, il permet de gérer les rapports entre fonction et sens, intérieur et extérieur, ville et nature, visiteur et cycle d’épuration. Jardins thématiques et double peau lamellaire en bois rétifié sont autant de tamis successifs le long du circuit purificateur, qui se prolongent ensuite le long des berges de la Seine, réaménagées et revalorisées sous l’impulsion des architectes.