Il l’a peinte, écrite, filmée : vingt-cinq ans d’amour et de haine d’un poète, Pier Paolo Pasolini, pour une ville, Rome, se racontent à la Cinémathèque française. De la gare Termini aux plages d’Ostie, un fabuleux portrait de ville, sur les traces d’un artiste inclassable.
Gare de Termini, 1950. C’est par une glaciale matinée de janvier que Pier Paolo Pasolini, jeune professeur de vingt-huit ans, débarque à Rome, où il s’installe près de la grande prison de Rebibbia. Un quart de siècle, onze romans et vingt-quatre films plus tard, l’homme sera sauvagement massacré sur une plage d’Ostie, un crime sanglant dont la justice italienne cherche encore, 38 ans après, le coupable… Textes, photos, extraits de films et manuscrits : l’exposition « Pasolini Roma » reconstitue ici l’itinéraire urbain et artistique de cet intellectuel provocateur. Lui emboîter le pas, c’est découvrir, à travers une œuvre incroyablement prolifique, le portrait d’une ville : car, qu’il s’agisse de ses films ou de ses écrits, le travail de Pier Paolo Pasolini reste indissociable de la capitale italienne.
Pasolini rencontre d'abord un succès littéraire avec la publication des « Ragazzi », description néoréaliste des voyous des quartiers pauvres, puis passe au cinéma avec les longs métrages d’ « Accattone » et de « Mamma Roma », où il dessine un inoubliable tableau des « borgate », ces bidonvilles installés à proximité de la métropole… Son art bouleverse l’image de la cité romaine et en révèle des pans inconnus à ses habitants – s’il fallait ne citer qu’une seule séquence, comment oublier cette Mamma Roma traversant en amazone sur la moto de son fils, le quartier Don Bosco, incroyable mélange d’immeubles neufs et de vestiges de la Rome antique, symbole de toutes les périurbanités, passées et récentes ?
Le cheminement dans l’exposition est scandé par des murs-écrans qui montrent les lieux pasoliniens à l’heure actuelle, permettant de mesurer la justesse des analyses qu’il avait faites sur le devenir de la ville. La Cinémathèque accompagne également la manifestation d’un site Internet dédié, plan interactif enrichi d’images et de textes, qui dessine une véritable carte sentimentale de la Rome du réalisateur italien. S’y cachent quelques pépites, dont les interventions du « street artist » rennais Žilda : fasciné par la filmographie de l’artiste, il avait déjà ressuscité en 2009 ses personnages, maquereaux indignes et prostituées au grand cœur, dans l’Italie de Berlusconi, avec des collages à échelle humaine affichés au détour des rues. À l’occasion de cette rétrospective, il installe cette fois-ci les héros de « Salò » et des « Mille et une nuits » sur les murs romains. Ces images furtives, qui, un peu comme celles de cinéma, s’effacent et ne s’adressent qu’à quelques chanceux promeneurs, pied de nez à cette société de consommation que rejetait Pasolini. Un seul regret : que la fin de l’exposition voit son propos perdre de sa force en s’éloignant de la Ville Éternelle, et la mort atroce et inexpliquée de Pasolini peu traitée. À Rome ou ailleurs, on rencontre parfois des impasses.