ENTRETIEN AVEC JEAN-MANUEL PUIG
Architecte associé de PPA Architectures
Quelle est votre définition de la fenêtre ? Pour moi, la fenêtre, c'est essentiellement la relation intérieur-extérieur.
L'architecture moderne l'avait transformée en bandeau, comment expliquez-vous qu'aujourd'hui elle retrouve ses caractéristiques fondamentales ?
La fenêtre en bandeau a été une formidable avancée ; elle a ouvert de nouvelles perspectives en faisant entrer l'horizon dans l'architecture. Aujourd'hui, la fenêtre n'est plus un trou dans le mur qui permet de composer la façade mais un formidable outil porteur de sens.
Pensez-vous qu'aujourd'hui la fenêtre est un élément de liberté pour l'architecture contemporaine ?
Oui, effectivement. Le travail sur la fenêtre est une réponse importante au fait que les surfaces des programmes sont de plus en plus sous-dimensionnées. Cette problématique est essentielle dans le logement collectif. En effet, la fenêtre, largement dimensionnée, assure la continuité avec l'extérieur et donne un sentiment d'espace. Elle libère ainsi la qualité et le plaisir d'habiter. La plupart des programmes du quotidien sont dimensionnés et formatés par l'économie, et c'est par la relation intérieur-extérieur que nous arrivons à concevoir des espaces généreux et complexes qui offrent un potentiel supplémentaire d'appropriation et de liberté.
La fenêtre est une faiblesse thermique et/ou statique de l'enveloppe ; est-ce une donnée sensible pour vous ?
Il faut faire très attention de ne pas penser l'architecture de cette façon-là, c'est-à-dire purement quantitative. Parce que la fenêtre, suivant ses dimensions, suivant ses dispositifs de protection solaire en fonction des orientations, va être une faiblesse ou une force. Par exemple, une ouverture dans un logement située au sud et intelligemment protégée de l'ensoleillement direct va amener en hiver des apports thermiques très intéressants. La fenêtre ne doit donc pas être considérée comme une faiblesse, mais comme un outil intelligent. Récemment encore, des AMO ou bureaux d'études comptabilisaient la surface de fenêtres comme critère négatif d'évaluation de la performance thermique d'un bâtiment. Ce sujet ne doit pas être réduit mais au contraire appréhendé dans sa complexité. La fenêtre doit être considérée comme un élément dynamique de cette intelligence globale.
Pour vous, l'architecture part de l'intérieur, elle n'a de sens que si elle est une force pour l'intérieur, bien qu'elle ait un impact sur l'extérieur. De quelle façon concevez-vous des façades qui vous semblent donner du sens à l'intérieur mais aussi à l'extérieur ?
Dans le processus de conception et de construction, le rapport à l'économie est essentiel et nous devons arbitrer des choix et hiérarchiser les intentions de projet. Effectivement, nous travaillons le projet depuis l'intérieur et nous assumons la priorité donnée à la qualité des usages. Nous essayons donc de concevoir une architecture lisible et pertinente qui exprime sincèrement ses intentions. Et nous ne nous intéressons donc que tardivement à l'expression plastique ou esthétique de la composition de la façade. Nous préférons la considérer comme une résultante du processus. Nous menons cependant un travail de formalisation et nous recherchons une esthétique de l'efficacité. Nous croyons beaucoup en l'esthétique de l'outil utile que nous trouvons beau parce qu'il est intelligent (la clef à molette ou le trombone). La fenêtre est un des éléments de cette efficacité. Nous utilisons très peu de modèles dans chaque projet parce que nous savons qu'en multipliant le nombre, nous pouvons être performants dans la mise au point technique et surtout dans l'aspect financier. Nous ne craignons pas la répétitivité qui devient un outil qui nous permet de rationaliser le projet.
615 logements étudiants signifient 615 fenêtres minimum ; comment ne pas avoir le vertige ?
Effectivement, la question de l'échelle se pose. Nous avons travaillé la morphologie en décomposant le projet en deux îlots qui eux-mêmes se décomposent en deux bâtiments. Ensuite, nous assumons la répétitivité et la série parce que nous pensons qu'il est possible de proposer des dispositifs architecturaux qualitatifs tout en assumant l'échelle. Par exemple, libérer les rez-de-chaussée en décollant les bâtiments de logements, donner de grandes parties collectives appropriables aux étudiants (ex : coursives-espaces à vivre), aménager des logements qualitatifs, etc. Nous préférons investir les moyens sur la générosité et la qualité de ces dispositifs « à vivre » que de rechercher des artifices architecturaux qui permettraient de faire oublier le nombre de logements.
Face à de telles quantités, la fenêtre est-elle un choix, une posture ou la seule solution possible ? Mur rideau ou bandeaux vitrés ont-ils été envisagés ?
Non. La fenêtre que nous avons proposée est toute hauteur et largement dimensionnée pour la surface d'un petit logement. Nous l'avons testée dans le bureau avec un morceau de scotch sur le mur et nous étions tous d'accord pour dire que nous aimerions avoir une fenêtre de cette qualité dans notre chambre. Nous voulions que la lumière entre abondamment dans la pièce, que l'on puisse avoir des apports de lumière conséquents et renforcés par l'allège en verre opalescent qui joue un peu le rôle de diffuseur. La fenêtre est située en partie centrale face de l'espace disponible et appropriable du logement. C'est en concevant le logement comme un espace de type loft à aménager et pas comme un appartement miniature que nous avons déterminé les caractéristiques de la fenêtre. En façade, une fenêtre sur deux se décale légèrement d'une demie trame permettant de laisser la place à l'aléatoire qui est renforcé par les trois positions de fermeture du volet. Cela génère une façade qui reflète en permanence la vie intérieure.
Il y a une sorte de « non maîtrise » du résultat final…
Effectivement, une « non maîtrise » voulue et qui rend compte de notre démarche. L'expression du bâtiment n'est pas figée ; elle est le reflet du contexte et de la vie intérieure.
Étiez-vous prescripteur sur ce projet et si oui, comment avez-vous choisi les modèles de fenêtres mis en œuvre ?
Oui, nous sommes prescripteurs avec l'économiste Execo. Nous travaillons presque exclusivement avec des menuiseries en aluminium pour leur performance et parce que ce matériau brut est cohérent avec la recherche de simplicité et d'intemporalité. Sur ce projet, la problématique technique était la gestion de la transmission du feu d'un étage à l'autre (C+D) avec des menuiseries toute hauteur et allège vitrée. Pour éviter de recomposer un châssis avec menuiserie aluminium et allège en acier, nous avons prescrit un produit Wicona, seul fabricant de profilés aluminium permettant de répondre à la contrainte du pare-flamme une demi-heure.
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FICHE TECHNIQUE
♦ LOCALISATION Toulouse (31), France
♦ MAÎTRES D'OUVRAGE Nouveau Logis Méridional (CDC Habitat), CROUS Toulouse Occitanie (utilisateur)
♦ PROGRAMME Démolition, reconstruction de 615 logements étudiants, 3 logements de fonction et espaces de vie collectifs, aménagements paysagés
♦ CONSULTANTS ATP (paysage), A+B (mobilier), Documents (signalétique)
♦ BUREAUX D'ÉTUDES Egis (TCE), Execo (économie et direction de travaux)
♦ MENUISERIE Wicona
♦ ENTREPRISE LOT FAÇADE Pyrénées Charpentes
♦ LIVRAISON Phase 1 en 2016 - Phase 2 en 2017