Rédigé par Clémentine Rolland | Publié le 20/01/2025

Plan de situation :
1 - Mer Celtique
2 - Vestiges du château de Tingatel
3 - Plage Tintagel-Haven
4 - Centre d’information du château de Tintagel
5 - Café du château de Tingatel
6 - Réserve nationale Glebe Cliff
7 - Castle Road
PASSEURS DE LÉGENDES
Ciselé par les vents d’ouest et les eaux de l’océan Atlantique, le littoral des Cornouailles produit une constellation de falaises d’ardoise et de criques de sable fin qui plantèrent, des siècles durant, le décor d’une foisonnante mythologie celtique. Dominant une presqu’île séparée de la côte par un isthme raviné, les vestiges du château de Tintagel se nimbent d’un mystère façonné par le folklore et les faits de l’histoire. Si la majorité des fortifications visibles aujourd’hui sont attribuées à l’occupation du site au XIIIe siècle par Richard de Cornouailles, frère cadet du roi Henri III d’Angleterre, les différentes missions archéologiques organisées depuis les années 1930 ont pu révéler des artefacts remontant à la domination romaine de la Bretagne et des traces d’un monastère celtique du haut Moyen Âge. Bien au-delà de ces trouvailles tangibles, la fascination et l’attraction que ces ruines séculaires exercent chez les amateurs de tourisme romantique trouvent leurs racines dans une légende ancienne ; car c’est à Tintagel qu’une nuit, Uther Pendragon, roi de Bretagne, aurait, avec la complicité du magicien Merlin, séduit par la ruse la duchesse Ygraine de Cornouailles, lui faisant un fils à l’illustre destinée : le roi Arthur.
Aujourd’hui, bien que le site du château de Tintagel fasse partie des nombreuses propriétés foncières appartenant au duché de Cornouailles – domaine royal détenu par le prince de Galles –, son administration et son exploitation sont conduites par English Heritage, établissement public responsable de la conservation du patrimoine historique anglais. En 2016, l’organisme lance un concours international visant la conception d’une passerelle capable de recréer une liaison de plain-pied entre le village et le château : à la faveur d’une longue érosion, l’isthme qui joignait les deux rives s’était effondré au XIIIe siècle, ne laissant qu’une langue de terre affleurant à la surface de l’eau. La jonction avec le site patrimonial avait certes été maintenue, d’abord par un pont-levis, puis par une passerelle en bois, mais l’accès à cette dernière, à près de 30 mètres en contrebas, contraignait les visiteurs à une randonnée accidentée le long de marches creusées à même la roche. Cette difficulté d’accès pour les personnes à mobilité réduite met à mal l’économie du site patrimonial : seul un tiers des visiteurs paient leur entrée pour la presqu’île…
Parmi les quelque 137 dossiers de candidature, l’agence d’architecture et d’ingénierie belge Ney & Partners, associée à l’agence britannique William Matthews Associates, est nommée lauréate du concours. Laurent Ney, architecte-ingénieur et fondateur de l’agence, conçoit le projet aux côtés de Matthieu Mallié, associé et codirecteur du pôle ponts et passerelles, de Bart Bols, ingénieur structure, d’Aline Roger, architecte, et d’une équipe de dessinateurs, avec l’intervention et les recommandations avisées de William Matthews. Saisis par le grandiose et l’atmosphère fantastique du site, les maîtres d’oeuvre s’imposent un objectif de simplicité, privilégiant la transparence pour que leur projet « n’entre jamais en concurrence avec les ruines ». La constructibilité du terrain est incertaine : aucun camion, ni bateau ne peut arriver à pied d’oeuvre ; en outre, le sous-sol est sensible, regorgeant encore de trésors d’archéologie non découverts – ce qui présuppose une infrastructure minimaliste. Procédant par pondération et élimination, l’équipe met différentes typologies de passerelles à l’essai : les ponts à caténaire, à béquilles ou à poutre sous-tendue, d’abord privilégiés, sont finalement écartés pour cause d’incompatibilité constructive ou paysagère. Le modèle du pont en arc ressort favori de cette étude : « Connu depuis la nuit des temps, son existence à l’époque médiévale légitimait sa présence dans ce contexte patrimonial. » Une évidence dont la mise en oeuvre est rapidement contrariée par la complexité d’accès au site, face à laquelle les hommes de l’art ne se démontent pas. « Nous voulions ce pont en arc : il fallait trouver le moyen de le construire.
Nous avons ainsi opté pour une méthode constructive que les Britanniques connaissent bien : le pont cantilever, qui permet de construire sans échafaudages et dans des conditions météorologiques difficiles. » Arrimées à la roche par tirants d’ancrage et micro-pieux, les travées latérales, dont les pièces métalliques parviennent aux cordistes au moyen d’un blondin, sont ainsi montées au-dessus du vide de part et d’autre des deux rivages… mais les architectes refuseront catégoriquement de joindre ces structures en encorbellement. « Comme nous voulions associer la ligne concave du pont en arc à une ligne de foulée légèrement convexe, tangente au relief et aux différentes altimétries des deux rives, nous ne pouvions pas nous permettre de placer une “clé de voûte”, car cette articulation aurait catalysé trop d’efforts contradictoires et donc internes. Nous avons donc créé un joint de dilatation… par le vide, au beau milieu de la passerelle », s’amuse Matthieu Mallié. Devenant l’élément central du projet, cette liaison interrompue emprunte au cycle arthurien, presque sans le vouloir, le topos du pont à franchir – figure récurrente de l’épopée des chevaliers de la Table ronde. « Nous voulions concevoir un projet digne de ce lieu mythique. En accordant les lois de la physique avec la beauté du paysage, nous sommes parvenus à mettre en scène cette symbolique du franchissement : entre deux entités géographiques, entre l’histoire et le présent, entre la réalité et le monde des légendes. »



Extrait 1 :
Coupe détaillée sur la culée côté 11e
1 - Boulon d'encrage
2 - Barre pleine en acier inoxydable, diam. 140mm
3 - Appui oscillant
4 - Finition bouchardée
5 - Béton léger
6 - Parement ardoise
7 - Vérin à vis
8 - Tirant d'ancrage
Poésie Minérale :
Rangées dans des caissons en inox, 50 000 ardoises issues d’une carrière locale forment le revêtement du platelage ; elles sont ponctuellement adjointes de fines tranches de quartz, évoquant les veines qui zèbrent les parois des falaises corniques. Une initiative sensible suggérée par le prince Charles, consulté en sa qualité (révolue) de duc de Cornouailles.
Histoires d'aciers :
Entre deux poutres transversales, l’interstice central est permis par le placement discret
d’axes longitudinaux qui transfèrent les efforts tranchants et assurent la compatibilité
des déplacements entre les deux parties du pont. Le barreaudage en inox duplex des
garde-corps assemblés par boulonnage rend hommage aux ferronneries médiévales.

Extrait 2 : Plan détaillé de l’intervalle entre les deux tabliers (garde-corps)
Extrait 3 : Coupe de l’intervalle entre les deux tabliers (garde-corps)
Extrait 4 : Coupe de l’intervalle entre les deux tabliers (poutres transversales)
1 Vis de serrage
2 Intervalle, 50 mm
3 Raccord de graissage
4 Main courante en chêne
5 Embout en acier inoxydable duplex
6 Membrure haute, acier inoxydable peint
7 Ardoises
8 Réservation pour amortisseurs de masse accordés

Extrait 5 : Vue en élévation du garde-corps
Extrait 6 : Coupe transversale détaillée sur le garde-corps
1 Poutre transversale profilé en T, 60 x 70 x 10/15 mm
2 Ardoises
3 Membrure haute de la poutre de rive
4 Acier inoxydable peint, ép. 15 mm
5 Main courante en chêne
6 Acier inoxydable poli, ép. 15 mm
7 Lisse haute
8 Poutre longitudinale, section creuse rectangulaire
9 Diagonale section carrée 65 x 65 et 30 x 30 mm
Fiche technique
LOCALISATION Tintagel, Angleterre
ARCHITECTES Ney & Partners, William Matthews Associates www.ney.partners, www.wma.co
MAÎTRISE D’OUVRAGE English Heritage
PROGRAMME Conception architecturale et structurelle d’une passerelle pour relier le village et le château de Tintagel
LONGUEUR 68,5 mètres
COÛT 5,94 millions d’euros
ÉTUDES 2016-2018
CHANTIER 2019-2020
LIVRAISON 2020
BUREAUX D’ÉTUDES ET CONSULTANTS
PAYSAGE Nicholas Pearson Associates
ÉVALUATION HISTORIQUE Ettwein Bridges
INGÉNIEUR GÉOTECHNIQUE Ramboll UK Ltd.
INGÉNIEUR SUR SITE EngineersHRW
CONTRÔLE CATÉGORIE 3 COWI UK Ltd.
ENTREPRISES
ENTREPRISE GÉNÉRALE American Bridge UK Ltd.
FOURNISSEUR ACIER Underhill Engineering Ltd.
FOURNISSEUR ARDOISES Delabole Slate
LEVAGE Câbles & Montages