Pour sa première exposition en France, la sculptrice de Bangalore Sheela Gowda se joue de l’architecture postmoderniste du lieu en y déployant ses monumentales installations. Nulle photographie ne saurait retranscrire la puissance de ses œuvres, gigantesques et accordant un sens aigu au détail, à l’image de ces cordages rouges sang qui sillonnent le ciel du bâtiment et harponnent le visiteur dès l’entrée. Formés par des centaines de fils de couture torsadés et recouverts de kumkum – colorant pourpre utilisé dans les cérémonies religieuses en Inde –, chacun de ses filins se termine par un bouquet d’aiguilles. Mais derrière l’apparente abstraction de son travail, Sheela Gowda, féministe engagée, pointe les modes de vie et les injustices de son immense pays : avec des barils de goudrons aplatis, elle recrée l’habitacle d’un ouvrier ouvrant sur un ciel étoilé. Plus loin, elle les assemble en une superposition majestueuse, surmontés par des aplats de couleur primaire – des bâches plastiques jaune et bleue –, une métaphore des chantiers de construction routière. Fils, encens, cheveux, bouses de vache : l’artiste travaille chaque matériau avec maestria, alliant l’épure à la dénonciation, décillant les yeux des spectateurs dans une exposition justement titrée Open eye policy (la politique de l’œil ouvert). Dernière surprise dans la tour-phare dressée par Aldo Rossi à la lisière de la forêt : des galettes traditionnelles de pain et d’encens s’y consument. Lorsqu’on s’élève dans l’escalier hélicoïdal, se dévoile alors, vu d’en haut, un tapis de nuances de gris. Simple patchwork ou paysage parcellaire de champs ? Toutes les interprétations sont permises pour, le temps d'une exposition, un peu d’Inde métissée de campagne limousine.