Rédigé par Jean-François Pousse | Publié le 14/04/2016
Totalement repensés par Brochet-Lajus-Pueyo associés à Emmanuel Nebout, espaces, collections et scénographie, consacrés au destin de l’espèce humaine, composent un outil de connaissances de premier ordre.
Métamorphose
Qui se souvient du musée de l’Homme avant sa métamorphose ? Pas grand monde, tant il a fallu de temps pour mener à bien l’opération. Neuf ans dont six années de chantier émaillées d’embûches quand sont apparus les faiblesses de la structure, le mauvais état des bétons qu’il a été nécessaire de curer, reprendre, doubler, renforcer. Du vieux musée restait pourtant en mémoire un lieu fermé, coupé de la lumière, labyrinthique. D’où la divine surprise au moment de sa redécouverte : le palais du Trocadéro de Gabriel Davioud construit en 1878 et celui de Chaillot de Jacques Carlu livré en 1937 réconciliés et révélés. Un parcours fluide dans la clarté de la lumière naturelle, des vues à couper le souffle sur le beau Paris, une collection fastueuse consacrée à trois questions essentielles : « Qui sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous ? » Pour faire comprendre comment l’espèce humaine s’est bâtie au fil du temps entre évolution du biologique, du culturel et du social, le projet scientifique ciselé par des groupes de réflexion interdisciplinaires a pioché dans les immenses collections (plus de 736 000 pièces). Aux manettes de la scénographie, le Zen+dCo de Zette Cazalas. Dans l’espace absolument continu et courbe des deux niveaux d’exposition, des kiosques, des vitrines, des objets rythment une chorégraphie invisible, réussie le plus souvent. Que le visiteur ne s’y trompe pas. Malgré ses 2 800 mètres carrés d’équipements, la galerie de l’Homme n’est que la partie publique des 16 000 mètres carrés du musée, navire amiral de 150 chercheurs au charbon dans leurs laboratoires.
L’œuvre
Ce sont les compagnons du devoir qui lui ont donné ce joli nom, eux qui ont bataillé avec des lames d’aluminium haute densité pour la bâtir. « L’œuvre » est une structure étagère conçue pour accueillir 91 bustes moulés sur des habitants du monde entier – de leur vivant –, symbole de l’émouvante diversité humaine. À l’opposé de l’entrée, elle attire très vite les regards. Ses 19 mètres de longueur s’élèvent jusqu’à 11 mètres de hauteur, dessinent une figure ascendante, frôlent une mezzanine généreuse et se tendent vers le deuxième niveau rejoint par la double volte d’un emmarchement d’acier, imaginé par les maîtres d’œuvre pour ne pas briser la visite, saisir les corps dans un même mouvement. Décision osée, car il a fallu abattre un escalier de Carlu qui en aurait interrompu la fluidité, suspendre les plateaux par des bracons aux poutres du plenum supérieur, seules capables de reprendre de telles charges. Nulle part dans la galerie de l’Homme, les articulations scénographie/architecture, meuble/volume ne sont si heureuses. Leurs rythmes, leurs courbes et contre-courbes s’entremêlent et se confortent, stimuli et acmé du parcours, beaucoup plus réussi que celui du niveau 2 où les relations objets/espace se troublent, les premiers flottants dans le second. Un moindre mal, quand le visiteur apprend que planchers et mur ouest cachent réseaux et systèmes nécessaires à l’évolution et au renouvellement de l’accrochage et de la scénographie.
Le balcon des Sciences
Le nouveau musée de l’Homme dans l’aile Passy du Trocadéro est aussi une histoire de réconciliation. Grâce aux architectes Brochet-Lajus-Pueyo et à l’atelier Emmanuel Nebout, les deux palais imbriqués conçus par Davioud et Carlu retrouvent le meilleur d’eux-mêmes. À l’extérieur, rien n’a changé. À l’intérieur, tout est neuf ou presque, même si la galerie – au-dessus du musée de la Marine – atteint un tel degré d’évidence qu’elle semble avoir toujours été là. Les maîtres d’œuvre ont recouvré l’esprit des lieux en les recomposant. En particulier dans le pavillon de tête. Davioud l’avait conçu comme un vaste atrium couvert d’une verrière, déployé en double hauteur au-dessus du rez-de-chaussée. En 1937, pour gagner en superficie, Carlu l’avait entresolé pour y loger une partie des collections d’anthropologie. En 2015, une fois la verrière restaurée et le plancher rajouté détruit, l’atrium retrouve son ampleur, enrichi du balcon des Sciences, filant avec le sol du niveau 2 de la galerie et surplombant celui du niveau 1 qui peut accueillir des manifestations variées. Protégés du vide par une corolle fuselée d’arcs en lamellé-collé d’épicéa et de jalousies en bois massif Accoya®, les visiteurs s’attablent pour consulter des écrans interactifs et prendre le pouls de la recherche en rencontrant les scientifiques dans le cadre de rendez-vous réguliers. Bémol, cet espace pensé en accès libre par les architectes ne l’est pas. L’entrée payante prévue à l’étage est reportée en rez-de-chaussée, déjà encombré par la librairie-boutique.