Deathbyarchitecture.com, c'est là que tout a commencé : la consultation du site d'appels à concours internationaux a mené trois jeunes architectes - la Franco-Libanaise Lina Ghotmeh, l'Italo-Israëlien Dan Dorell et le Japonais Tsuyoshi Tane - à répondre à la compétition pour le Musée national de l'Estonie. De manière totalement inattendue, ils la remportent en 2006 et créent dans la foulée l'agence DGT, basée à Paris (dissoute en 2016). L'aventure fait figure d'exception : étant donné la nature nationale du programme et la toute récente autonomie du pays, autrefois sous le joug soviétique, rien ne laissait imaginer l'attribution possible de l'ouvrage, un mastodonte de 34 000 mètres carrés, à des architectes non estoniens et peu expérimentés.
Le choix de l'implantation s'est porté sur la petite ville culturelle et étudiante de Tartu. Il se trouve que c'est dans cette dernière qu'avait été créé dès 1909 un musée ethnographique, dans une ancienne demeure allemande que l'on peut encore apercevoir juste à côté de la nouvelle institution, en lisière de la cité.
L'histoire de l'Estonie est marquée par des siècles de luttes pour l'autonomie, et le pays n'a pu reconquérir son indépendance qu'en 1991, alors qu'éclatait l'URSS. Dès lors, l'Estonie a souhaité porter un regard neuf sur son histoire, sans en gommer toutefois les douloureux stigmates, et l'intention de construire un musée national est apparue dès 2000. Dix-sept années plus tard, l'architecture du lieu, loin d'être un simple écrin, influe sur la vision de l'histoire, tant par son parcours muséal que par son insertion dans le site : dérogeant au programme du concours, les architectes de l'agence DGT ont placé l'édifice sur une surface qui ne lui était pas allouée. Prenant la forme d'un monolithe de verre et de béton de 350 mètres de longueur sur 70 mètres de largeur, le musée, avec sa toiture inclinée, prolonge physiquement et visuellement une ancienne piste d'aviation de la base militaire soviétique qui occupait le quartier de Raadi. Longtemps, ces terrains furent interdits d'accès à la population. À l'intérieur du bâtiment, un axe majeur central accueille une des deux expositions permanentes (l'autre étant en sous-sol), mais il est possible de briser le parcours en s'échappant dans les salles adjacentes qui le ponctuent de part et d'autre. Brisant toute idée chronologique, l'exposition est de plus accessible depuis les deux entrées situées à chaque extrémité du musée, dont celle ouverte sur la ville est un gigantesque porte-à-faux.
« La totalité des 350 mètres de parois latérales est éclairée sur toute la hauteur, dans l'épaisseur et non de face, pour éviter de gommer tout relief. »
L'aspect monumental et compact du projet, fortement ancré dans le territoire, a été maintenu grâce à des détails traités sans concession par les architectes. Il n'y a pas de débord de toiture et le système structurel en béton est noyé dans les boîtes annexes accueillant les salles d'exposition, celle pour les concerts, ou encore l'auditorium. Les longues façades de verre latérales sont parfaitement planes grâce à un système d'attaches métalliques et une structure spécialement dessinées. Toute recherche technique est pensée pour que le projet ne perde pas l'ampleur et la simplicité des volumes, une posture corroborée par le travail de mise en lumière mené avec l'atelier de l'éclairagiste Hervé Audibert, qui n'a pour objectif qu'une valorisation des perceptions :
« Nos intentions vont au-delà de la lumière fonctionnelle, la lumière a un sens », explique le concepteur invité à collaborer sur le musée, très en amont, dès après le concours.
« DGT est très à l'écoute, nous avons pu faire évoluer quelques détails concernant les façades qui pour leur mise en lumière nécessitaient une certaine qualité de verre et de sérigraphie afin de magnifier leur côté diaphane. » Si la conception technique de l'éclairage reste simple, son choix d'implantation a mobilisé toutes les attentions. La totalité des 350 mètres de parois latérales est éclairée sur toute la hauteur, dans l'épaisseur et non de face, pour éviter de gommer tout relief. Aussi des réglettes de LED posées au sol et en plafond courent sur toute la longueur et accentuent ainsi l'échelle et l'ancrage territorial. Dans les lieux d'exposition, les lampes à décharge disparaissent sous un caillebotis métallique qui maintient la pureté des espaces.
Par contre, « lorsque le besoin se fait sentir de retrouver la dimension humaine, nous avons porté les sources lumineuses à trois mètres du sol au moyen de tiges métalliques qui recréent un volume fictif », explique Hervé Audibert.
Au final, telle une anamorphose, les perceptions et les strates de lecture sont différentes selon les points de vue. Sur le site, le visiteur conserve une vision de la hauteur totale des plafonds, tandis qu'une intimité est créée à l'intérieur lorsque nécessaire. Seul le contenant étant éclairé, la rampe apparaît dans un halo assez faible et le geste d'ensemble n'est alors pas sans rappeler le monument continu du groupe Superstudio en 1969. Tout aussi radical et surréaliste, ce monolithe affirme ici, à l'échelle du paysage, l'idée d'une utopie réifiée.
Article paru dans exé 29 : Éclairage architectural (sept-oct-nov 2017)
FICHE TECHNIQUE
♦ LOCALISATION Tartu, Estonie
♦ ARCHITECTE
Dan Dorell, Lina Ghotmeh, Tsuyoshi Tane (DGT)
♦ COLLABORATEURS
Alexandros Mykoniatis, Cécile Combelle, Daisuke Sekine, David Agudo, Emma Bush, Emmanuelle Stalla-Bourdillon, Carlotta Fontana, Gaëtan Kohler, Helene Lennartsson, Mathias Klöpfel, Masayuki Ninomiya, Ricardo Guerra, Ross Perkin, Ryosuke Motohashi, Sarah Alexandra Castle, Sony Devabhaktuni, Valérie Mayer, Yasmin Sfar, Yuzu Fukunaga
♦ ARCHITECTE EXÉCUTION HGA et Pille Lausmäe
♦ MAÎTRISE D'OUVRAGE Estonian Ministry of Culture, Estonian National Museum
♦ MANDATAIRE
Heritage operator and state estates operator RKAS
♦ PROGRAMME
Construction d'un musée dédié à l'histoire nationale
♦ SURFACE NETTE 32 500 m²
♦ COÛT DES TRAVAUX 54,34 millions d'euros HT
♦ CONCOURS Janvier 2006
♦ DÉBUT CHANTIER Mars 2013
♦ LIVRAISON Mai 2016
♦ OUVERTURE Septembre 2016
BUREAUX D'ÉTUDES ET CONSULTANTS
♦ STRUCTURE Arup (concours), EA Reng
♦ ACOUSTIQUE Linda Madalik
♦ PAYSAGE Bureau Bas Smets, Kino (paysagiste local)
♦ ÉCLAIRAGE Atelier Hervé Audibert
ENTREPRISE
♦ TCE Fund Ehitus