Quelles étaient les spécificités de la commande et du programme de l'Espace Mayenne ?
Ce programme d'aréna est un équipement multifonctionnel pionnier pour la Mayenne. Situé en périphérie de Laval, entre une zone commerciale et une zone pavillonnaire, le site alloué au projet était un ancien complexe militaire, très vaste mais ceinturé par une rocade. Nous devions proposer, au moment du concours, les lieux d'implantation de l'aréna et des parkings, qui occupent une surface importante avec leurs 670 places de stationnement, tout en intégrant d'emblée la nécessité de dégager du terrain pour respecter l'objectif futur de création d'une ZAC. Le terrain portait par ailleurs les vestiges d'un ancien bocage : un chemin creux entre des chênes, plusieurs très beaux arbres disséminés sur le site, une petite prairie humide…
En termes de programme, l'aréna devait pouvoir accueillir trois salles : une salle de sports de 3 860 places assises, capable d'accueillir des compétitions de basket, de football, de volley, etc. , convertible en salle de spectacle de 4 450 places ; un second gymnase de 1 200 places intégrant un mur d'escalade de compétition à niveau international ; enfin, une salle de congrès de 500 places. Une série d'espaces de réception, de loges, de vestiaires, de locaux techniques ou de bureaux complétait la commande. En cours de conception, nous avons également choisi de rajouter un vélodrome extérieur de 250 mètres. Profitant d'une déclivité naturelle du terrain, nous avons conçu sur le bâtiment en deux niveaux distincts, ce qui nous semblait important pour gérer et dissocier les différents flux qui animent un tel équipement : le public, d'une part, et les sportifs, les artistes, le personnel et le matériel de l'autre. Ce travail en coupe nous a permis d'installer l'accès du public en niveau haut, au milieu de la hauteur de la salle principale pour desservir harmonieusement les gradins ; le niveau bas forme l'accès logistique et dessert également, par un tunnel, la piste centrale du vélodrome.
Comment conçoit-on l'acoustique d'un équipement aussi complexe et dont la subtilité repose notamment sur la diversité des activités accueillies ?
Nous avons collaboré avec les acousticiens de Lasa, avec qui nous avions déjà conçu plusieurs salles de concert. Ce projet propose à la fois des traitements acoustiques assez classiques, comme dans les espaces de hall et de circulation, et d'autres beaucoup plus complexes, notamment dans les grandes salles de l'aréna. Le problème de la polyvalence, c'est qu'il faut que le confort acoustique reste manifeste dans tous les cas de figure. Une salle de musique amplifiée reçoit généralement une intensité sonore importante et engage la mise en œuvre d'absorbants sur la plupart des surfaces verticales et au plafond, même s'il est important que certaines parois soient à même de renvoyer et de répartir le son dans la salle pour que la qualité sonore soit équivalente où que l'on se trouve dans la salle. Dans une salle de sport, la notion d'absorption est moindre car, pour des questions d'ambiance, on veille à ce que le son produit par le public soit en fait renvoyé vers le public. À Laval, il s'agissait précisément d'atteindre l'équilibre entre réflexion et absorption, ce qui repose sur de nombreuses subtilités. Avec Lasa, notre collaboration a suivi un cheminement itératif : ils ont commencé par une première proposition schématique figurant les hypothèses de surfaces absorbantes ou réverbérantes, puis nous avons modélisé des reliefs en 3D, sur Rhinocéros et Grasshopper, à la recherche de solutions fabriquant une architecture, une atmosphère… Puis ils testent nos idées, nous les corrigeons, et ce dans un aller-retour continu.
Le travail que nous avons mené sur la grande salle est intéressant parce qu'il est singulier. Le traitement de parois est composé d'une alternance de feutre absorbant et de béton blanc coulé en place, banché avec des planches de bois qui permettent d'obtenir une rugosité très intéressante pour le traitement acoustique. Sur certaines parois, le béton ondule, forme une sinusoïde destinée à diffuser le son par réflexion dans la salle. Nous avons également une zone complètement absorbante en panneaux de feutre sur les parois situées derrière les gradins, pour laquelle nous avons tenu à harmoniser la couleur du feutre et celle du béton. Dans les angles arrondis de la salle, qui pourraient engendrer une réverbération du son difficile à contrôler, nous avons opté pour une alternance de béton et de feutre, c'est-à-dire que nous avons placé une épaisseur de feutre et une épaisseur d'absorbant acoustique dans des réservations entre deux « bandes » de béton banché.
Cette approche et ces trois différents dispositifs forment une approche assez complexe et sophistiquée pour ce genre de salles. La grande salle dispose en outre d'une nappe acoustique au plafond, juste au-dessus du gril technique, complétée par un système de baffles acoustiques suspendues de 50 × 50 centimètres, faites de bois et d'isolant et habillées d'un feutre blanc écru évoquant la couleur du béton, tout comme les panneaux de feutre disposés derrière les gradins. Il s'agissait certes de concevoir une atmosphère sonore optimale, mais également de soigner une ambiance visuelle et raffinée. Nous avons tâché de travailler une palette de matériaux réduite, qui se résume, pour la grande salle, au béton, au feutre et au bois.
Dans l'espace du hall, les plafonds en lames de bois ajourées qui reposent sur un matelas acoustique ont été préfabriqués en atelier et ramenés par éléments pour obtenir une finition impeccable. La géométrie du plafond du hall étant très complexe, l'optimisation matérielle avait été préalablement mise au point à l'aide de logiciels de modélisation paramétrique. Dans le second gymnase, qui accueille des sessions d'entraînement et de sport collectif, nous avons misé sur la hauteur de la salle - le mur d'escalade culmine à 15 mètres. Les parois des petits côtés de la salle sont habillées d'un absorbant recouvert d'une tôle ondulée perforée et le plafond comporte également un complexe absorbant.
En quoi ces exigences de performance ont-elles contraint la spatialité de l'aréna ?
La volumétrie de ce genre de salles et l'exigence de polyvalence impliquent beaucoup de contraintes sur le plan de la conception. Sur un terrain de sport, la logique spatiale est assez simple : on veut une arène flanquée de part et d'autre par des gradins car il est fondamental, pour des questions d'ambiance, que le public se fasse face. En revanche, une scène de spectacle respecte une logique de frontalité : une scène et des gradins face à la scène. Avec le concours de Ducks Scéno [ bureau d' études consulté pour la scénographie , NDLR] nous avons opté pour la conception d'une salle dissymétrique, dotée d'un balcon sur l'un des grands côtés et d'un système de tribunes rétractables autour du terrain, pour pouvoir les ranger et installer une scène sur le second grand côté. Des rideaux permettent ensuite de délimiter l'espace de la salle pour mieux permettre au balcon de devenir un balcon de théâtre face à la scène.
Dans l'ensemble, la volumétrie des salles génère une forme architecturale très organique. Le volume du hall, qui se glisse entre les trois salles et passe sous les gradins de la grande salle avant de se retourner pour desservir le hall bas, est à la fois une volonté de projet et une résultante de la conception des grandes salles. Dans notre processus de travail, nous considérons autant l'intérieur que l'extérieur pour fabriquer un volume global au plus près de ce qui est strictement nécessaire, avec une peau extérieure qui adhère aux volumes prévus par le programme. L'ensemble des épaisseurs de parois et de toiture du projet sont conçues pour éviter les interférences entre l'aréna et l'extérieur, et ce dans les deux sens : il s'agissait à la fois d'éviter que le bruit de la rocade ne perturbe les représentations de l'Espace Mayenne, mais également d'empêcher que le volume sonore de certaines représentations émane du bâtiment et gêne le voisinage.
Diriez-vous que l'acoustique est devenue un sujet d'expertise pour votre agence ?
C'est en effet une expertise que nous possédons aujourd'hui et que nous voudrions continuer à développer. Nous aimerions beaucoup avoir l'opportunité de concevoir des salles acoustiques pour les musiques non amplifiées, car c'est une expérience qui nous manque bien que nous ayons en réalité tous les acquis pour y parvenir. Il est vrai que notre manière de concevoir des salles de concerts s'est beaucoup développée et affinée dans le temps, notamment sur l'harmonie trouvée entre architecture et acoustique - notre première salle de concerts était entièrement absorbante ! Petit à petit, nous sommes devenus plus subtils dans la manière de gérer le son et, naturellement, dans le traitement intérieur de l'architecture et des spatialités. Le rapport de la salle de concerts à son environnement, qu'il soit urbain ou non, est également fondamental dans notre recherche : il s'agit de calibrer des espaces intermédiaires entre dedans et dehors, de mesurer l'accueil en introduisant graduellement le public vers le lieu de représentation… L'architecture doit pouvoir préfigurer l'événement festif, presque magique, d'une soirée de concert ou de spectacle. Quant à l'aspect technique du travail de l'acoustique, nous innovons sans cesse et tâchons toujours de dépasser nos connaissances, avec des salles dissymétriques ou inattendues, des parois sophistiquées, etc. Nous travaillons actuellement à Angers sur une salle de musique [ la SMAC , NDLR] ayant des airs de théâtre à l'italienne…
FICHE TECHNIQUE
LOCALISATION Laval (53), France
MAÎTRISE D'OUVRAGE Conseil départemental de la Mayenne
ARCHITECTES Hérault Arnod architectures (études : Mickaël Dusson, Jérôme Moenne-Loccoz (chefs de projets), Paola Figueroa, Thomas Féraud et Rana Abi Ghanem/chantier : Florent Bellet (chef de projet) et Arnaud Gillet)
www.herault-arnod.fr
BUREAUX D'ÉTUDES Inex (fluides), Batiserf (structure), BMF Conseil (économie), Ducks Scéno (scénographie), Lasa (acoustique), Sempervirens (paysage), Gérard Plénacoste (graphisme), Hervé Audibert (mise en lumière extérieure), B3I (VRD)
PROGRAMME Conception d'une aréna sports et spectacles
SURFACE DE PLANCHER 15 100 m2
LIVRAISON Juin 20 21
COÛT DES TRAVAUX 36 millions d'euros HT
PHOTOGRAPHIES André Morin et Cyrille Weiner