Les silhouettes festonnées des promontoires calcaires sculptant le paysage de Bonifacio le distinguent d'une Corse aux côtes et aux crêtes majoritairement granitiques. Creusées de grottes, de criques et d'anses de sable fin, couronnées de pins et de chênes, ces falaises soutiennent la vieille ville, en balcon sur des eaux dont la palette évolue du turquoise à l'outremer. Séparée de la Sardaigne par un détroit semé d'écueils, Bonifacio fut au Moyen Âge le théâtre de conquêtes pirates, sarrasines et mauresques. Fortifiée dès le XIIe siècle lors de l'occupation génoise, la citadelle devient une place militaire d'importance pour la France républicaine lorsque la Corse est placée sous son administration, à la fin du XVIIIe siècle. Depuis, le retour de la paix a transformé murailles, chemins de ronde et autres stigmates d'une occupation militaire millénaire en belvédères et promenades à l'adresse des touristes venus admirer la splendeur de la plus méridionale des villes de l'île.
En 2004, le rachat de la caserne Montlaur au ministère de la Défense par la collectivité territoriale de Corse (CTC) fait souffler un vent d'espoir quant au devenir de cette friche militaire de 4,6 hectares érigée par les Génois puis par les Français et où, dominant la haute ville, une dizaine de bâtiments - pour certains inscrits et classés - sont laissés à l'abandon depuis le départ de la légion étrangère. La CTC et la commune de Bonifacio confient en 2012 l'élaboration du plan directeur d'aménagement de l'ancienne caserne à un groupement mené par les urbanistes et économistes d'Urbalterre, qui préconisent la revalorisation de ce site autrefois interdit aux Bonifaciens par la création d'un parcours reliant les monuments historiques et les paysages qui le composent. En mars 2016, l'agence fondée deux ans plus tôt par Isabelle Buzzo et Jean-Philippe Spinelli remporte le concours pour la conception d'un bâtiment passif accueillant une crèche de 45 berceaux en site classé, qui constituera un projet pilote pour l'ensemble de l'opération visant le futur quartier Montlaur et subrogera la crèche locale, en mauvais état. Quatre ans de chantier, imputables notamment à une nature de sol complexe, seront nécessaires avant de voir éclore le bâtiment. Livré en 2023, le nouvel équipement est une apparition surgie de la falaise. Parée d'une façade captivante dont la teinte claire est due à la mise en œuvre expérimentale d'un béton de chaux damé, la crèche Montlaur, en témoignant d'une insertion paysagère saisissante, rend hommage à la Corse et à ses ressources naturelles.
Un bâtiment paysager
Au rendez-vous des vents d’ouest et d’est, la crèche Montlaur paraît dans un décor de garrigue où se balancent les herbes folles et le fenouil sauvage. Çà et là, vestiges de pierre de l’époque génoise, un silo à grain et deux moulins à vent du XIIIe siècle qui servaient à moudre des céréales ou à produire de l’huile d’olive s’élèvent du sol de rocaille. « Nous voulions démontrer qu’une construction locale, ancrée sur notre territoire est toujours possible », soutient Jean-Philippe Spinelli. Les architectes s’imposent ainsi un recours minimum aux matériaux importés, « démarche que nous portons sur l’ensemble de nos projets », précise-t-il. « En plus des voiles de béton de chaux réalisés avec des matières locales, les éléments de charpente et les menuiseries sont faits de pin laricio, une essence endémique de Corse dont les troncs étaient autre fois utilisés pour la fabrication de mâts de voiliers. »
Un chantier expérimental
Mis en œuvre sans armature et contreventés par la charpente en pin, les voiles de béton de chaux associent des agrégats calcaires extraits lors du terrassement à un liant à la chaux typique de l’architecture bonifacienne en empruntant la technique et les outils du pisé : coulage dans des banches de bois et compactage à l’aide d’un fouloir électrique. « La façade est conçue comme un mur poids de 35 centimètres d’épaisseur coulé par strates successives d’environ 14 centimètres, indique Jean-Philippe Spinelli. La mise au point du dosages des différents constituants du béton de chaux a duré huit mois, durant les quels nous avons dû réaliser une cinquantaine de prototypes ! » Un processus rendu possible grâce au soutien des ingénieurs de Batiserf, qui ont notamment dû, aux côtés des architectes, accompagner les maçons locaux sur tout le temps du chantier. Nul besoin de passer par la procédure ATEx pour ce projet, mais plusieurs essais d’arrachement et de compression ont été menés avec le concours de l’ENTPE de Grenoble.
Face au climat
Pour souligner les affinités qu'entretient la crèche avec les figures de pierre qui plantent le décor, la couverture d'ardoises est posée en retrait de 30 millimètres par rapport à l'arête formée par l'arase des voiles de béton de chaux. Ceux-ci sont quant à eux minéralisés pour faire face aux pluies que le vent projette parfois à l'horizontale : «Ce béton de chaux s'affranchit des problématiques propres aux bétons traditionnels, dont les armatures souffrent souvent de corrosion en zone littorale, rappelle Jean-Philippe Spinell. Le complexe de façade avoisine les 70 centimètres d'épaisseur, incluant les voiles de béton, un isolant en laine de bois et des contre-cloisons en briques de terre cuite enduites à la chaux», qui garantissent une bonne inertie du bâtiment ainsi qu'une hygrométrie idéale. «Nous avons mis en place un puits méditerranéen qui permet de préchauffer l'air en hiver et de le rafraîchir en été.
Le confort d'hiver est assuré par une chaudière bois reliée à un plancher chauffant.» Conçus sans système de climatisation, tous les espaces de la crèche sont traversants, favorisant une ventilation naturelle des espaces en dégageant des vues imprenables sur le paysage.
INFORMATIONS PRATIQUES
LOCALISATION Bonifacio (2A), France
ARCHITECTES Buzzo Spinelli
www.buzzospinelli.com
MAÎTRISE D'OUVRAGE Commune de Bonifacio
PROGRAMME Construction d'une crèche de 45 berceaux et d'un relais petite enfance
SURFACE DE PLANCHER 1 034 m2
COÛT DES TRAVAUX 3,28 millions d'euros HT
LIVRAISON Avril 2023
BUREAUX D'ÉTUDES ET CONSULTANTS
STRUCTURE Batiserf et ISB Structure
FLUIDES, THERMIQUE B52
ENVIRONNEMENT Switch
ACOUSTIQUE Gamba
ÉCONOMIE ESI