ENTRETIEN AVEC JAN RICHTER
Architecte associé de Richter architectes et associés
BBC, BBCA, Biosourcé, Effinergie, BEPOS, Passivhaus, E+C-… Quel est votre sentiment face à ce fourmillement de labels, certifications et autres démarches environnementales ? Le salut de l'architecture durable doit-il vraiment passer par là ?
Effectivement, comment ne pas se perdre ? Mais ces labels existent, ils nous sont imposés par nos maîtres d'ouvrage, et nous devons composer avec. Le bon côté, c'est qu'ils rendent plus attentifs certains donneurs d'ordre, et les cadrent dans leur volonté d'affichage et de communication « verte ».
Le revers de la médaille, c'est l'oubli, au profit d'une évaluation permanente, de ce qui donne sens à l'architecture : le confort bien sûr, mais aussi l'émotion, la poésie de l'espace, le rapport à la ville, au paysage… Sans être experts en labels, nous y voyons aussi des différences d'ambitions, parfois des contradictions, voire des tendances à l'encontre du bon sens. Le label Passivhaus est très poussé, et demande un suivi aigu du projet en phase d'études comme en phase chantier, pour un résultat qui est précisément vérifié. La labellisation E+C- n'est pas encore au point et pose question quand l'ajout de technologie permettant d'augmenter le E (performance énergétique) n'est pas ou peu pris en compte dans l'évaluation du C (bilan carbone).
Justement, la construction passive génère-t-elle une architecture systématique ? Très épaisse, avec des vitrages optimisés, peu de débordements, des volumes compacts ; n'y a-t-il pas comme une homogénéisation architecturale dommageable ?
Malheureusement, dès qu'une réglementation - ou qu'un label - apparaît, on n'échappe pas aux réponses toutes faites qui parfois frisent la caricature. Émergent alors des quartiers où tout est orienté nord-sud, des bâtiments thermos uniformes, aux dépens de toutes les différences, nuances et contrastes qui font la richesse de la ville. À nous architectes de travailler et de ne pas nous plier aux solutions faciles, de convaincre, de rappeler ce qui fait sens. La construction passive n'est qu'un objectif de performance, au même titre qu'un enjeu fonctionnel ou économique ; il est un ingrédient parmi d'autres.
Une autre contradiction ne réside-t-elle pas dans l'importante dépense de matières et d'équipements pour construire passif ?
Les architectes et les ingénieurs n'ont pas toujours la même vision : là où les premiers voient une débauche de tuyaux et de machines, les seconds ont tendance à en relativiser l'impact et l'encombrement. On se retrouve dans la recherche d'un juste équilibre. Et on s'appuie sur les fondamentaux : le plan compact, les ouvertures bien orientées et dimensionnées, pour éviter le recours à une technologie de compensation. Dans le Nord de la France, on envie ceux qui construisent dans le Sud, où dans le meilleur des cas on peut se passer de ventilation double flux. Cela dit, dans les bureaux de Solares Bauen, on a beaucoup misé sur l'inertie du bâtiment et la ventilation naturelle qui balaie l'espace ouvert : la ventilation double flux est dimensionnée au plus juste, et n'est utilisée que d'octobre à mars.
La labélisation passive de ce projet était-elle visée dès le départ ? Et comment l'avez-vous abordée ?
Oui, la labellisation était un objectif très important pour Solares Bauen, et nous connaissions les règles du jeu dès l'esquisse. Le projet était contraint parce qu'il s'agissait de transformer un bâtiment industriel sur un site devenu inconstructible (en zone naturelle), donc sans en modifier l'emprise. Si les murs de façades existants n'ont pas pu être conservés en raison de surprises de chantier, le dessin des percements d'origine, a priori peu adapté à une conception passive, a été repris tel quel dans les nouvelles façades. Évidemment, nous avons alors d'abord misé sur la compacité, en créant à volume égal trois planchers utiles au lieu d'un. Le couronnement vitré en surélévation complète les apports solaires, et les façades sont isolées de ouate de cellulose sur 40 centimètres d'épaisseur. Les menuiseries extérieures sont particulièrement performantes, on ajoute un peu de ventilation double flux… et le tour est joué ! Cela dit, le label Passivhaus demande d'être très vigilant à chaque étape, y compris bien sûr pendant les travaux, car tout est vérifié. Dans l'Est de la France, l'habitude de confier la mission EXE aux concepteurs nous permet un dialogue plus constructif avec les entreprises, et va certainement dans le sens de cette recherche partagée de qualité.
Est-ce plus ou moins compliqué dans le cadre d'une rénovation comme celle-ci ?
Quand les volumes à transformer sont simples, ce n'est pas forcément plus compliqué que du neuf. Avec DeA architectes, nous avons réhabilité une barre de logements « passoire » en un immeuble passif, et construit un bâtiment neuf et passif à côté. L'effort était le même : bien isoler, bien percer, soigner l'étanchéité à l'air… C'est certainement plus compliqué lorsqu'il s'agit de rendre passifs des bâtiments aux formes et modénatures complexes, si l'on ne veut pas en dénaturer l'architecture.
L'objectif passif influence-t-il vos processus de conception ? Est-ce la même histoire que de concevoir un bâtiment traditionnel ?
Sur le processus de conception, très peu ; disons que nous sommes un peu plus vigilants sur quelques envies d'architecture qui pourraient aller à l'encontre des objectifs… et quand même, nous sommes tristes quand une belle baie au nord doit être réduite pour améliorer le calcul ! C'est peut-être dans la qualité des échanges avec les ingénieurs que l'influence est la plus notable ; nous devons davantage discuter en amont, pour éviter l'application de technologie a posteriori sur un projet. Petit à petit, les ingénieurs se questionnent sur la forme et l'espace, et les architectes sont plus sensibles aux choix techniques.
L'évaluation permanente a cela de positif, mais elle peut être aussi totalement contreproductive entre de mauvaises mains, au même titre que les différentes réglementations. Quand ces sujets prennent le dessus, on assiste à l'appauvrissement de notre milieu, de notre habitat. C'est d'ailleurs ce que pointe très justement le rapport Lemas sur la qualité du logement social ; les considérations réglementaires ou de performance, aussi vertueuses soient-elles, ont été trop souvent menées au détriment de la qualité et de l'expérimentation architecturales, qui doivent maintenant revenir au premier plan.
L'auriez-vous abordé et conçu différemment sans cet objectif ?
Je ne pense pas. Avec Solares Bauen, nous avons tout de suite évalué le bâtiment, et étions assez confiants dans les principaux choix. Bien sûr, le projet a évolué tout au long des études, mais plus pour des questions d'ordre fonctionnel, comme l'augmentation de sa capacité d'accueil, ce qui allait dans le sens d'une plus grande compacité. Sans l'objectif Passivhaus, nous aurions peut-être été moins regardants sur la qualité des vitrages ou l'épaisseur de l'isolant pour tenir le budget, mais le projet aurait été le même. Sans objectif de labellisation, le confort aurait été de toute manière un critère incontournable.
FICHE TECHNIQUE
♦ LOCALISATION Strasbourg (67), France
♦ MAÎTRISE D'OUVRAGE Solares Bauen
♦ PROGRAMME Démolition-reconstruction et surélévation d'un ancien bâtiment industriel en lieu de travail pour un bureau d'études
♦ BUREAUX D'ÉTUDES Capem (structure), Solares Bauen (fluides et environnement), L&N (électricité), E3 (économie)
♦ ENTREPRISES Denni Legoll (aménagement extérieur), Decontair (désamiantage/démolition), Mader (gros œuvre), Soprema (étanchéité), Hémia (menuiserie extérieure, stores, bardage bois), Scheibel (serrurerie), Air énergie (isolation insufflée), Hunsinger (menuiserie intérieure), EJ Energies (sanitaire), Juki (chauffage), For-Eau (forage), Koessler (électricité), Vincentz (photovoltaïque)
♦ PHOTOGRAPHIES Luc Boegly