Comment avons-nous absorbé la modernité ? Qu’avons-nous fait de cet héritage ? Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Autant de questions que pose Rem Koolhaas à travers les trois événements conjoints de cette Biennale. En premier lieu, la contribution des soixante-cinq pays participants, parmi lesquels dix nouveaux venus (dont le Maroc, la Turquie ou le Costa Rica). Pour la première fois, le commissaire leur a imposé une thématique commune : Absorbing Modernity : 1914-2014. L’installation hypnotique dans le Pavillon d’Israël, où quatre traceurs dessinent à l’infini les tracés d’un urbanisme générique, le pied de nez de la Russie qui singe les codes de la foire commerciale pour nous vanter les mérites de l’architecture soviétique, ou le constat pessimiste du commissaire du Pavillon français Jean-Louis Cohen, qui accrédite la thèse d’un rendez-vous manqué avec la modernité, sont autant de réponses aux questions posées. Rem Koolhaas l’a dit, redit et même inscrit noir sur blanc dans le catalogue de cette très sérieuse Biennale : « Architecture, not architects ».
Second temps fort, l’exposition Elements of architecture, qu’il a conçue avec ses étudiants d’Harvard, autopsie la discipline de façon chirurgicale. Dans le pavillon central des Giardini, corridor, mur, façade ou plafond figurent ainsi parmi les quinze composants dont il livre une lecture historique passionnante. Catalogue façon Leroy Merlin pour les uns, inventaire incroyable pour les autres, c’est avant tout le résultat d’un travail colossal et rigoureux qui a nécessité deux ans de recherche, témoignant parfois de la paranoïa du Néerlandais, comme lorsque la porte devient portique de sécurité ou que la fenêtre isole du monde plutôt que de le donner à voir. Certains se sont émus, voire emportés, avec une véhémence que seul Rem Koolhaas a l’art de provoquer chez ses confrères. À Venise, le maître batave aurait, dit-on, porté son cynisme en étendard, conférant à cette Biennale des allures de testament. À 69 ans, il a une nouvelle fois créé la controverse sur la lagune vénitienne.
Et avec sa deuxième exposition Monditalia – qui occupe le linéaire sans fin de l’ancienne corderie à l’Arsenale –, il n’a rien fait pour se racheter. Moins didactique, plus difficile d’accès, elle livre en pâture le portrait sans concession d’une Italie ici envisagée comme emblématique de la situation contemporaine actuelle. Errances et ratages architecturaux ou urbains à travers tout le pays y sont relatés au rythme de performances vivantes, car pour la première fois, la danse, le théâtre, le cinéma et la musique s’invitent à la Biennale. Quoi qu’il en soit, un détour à Venise s’impose. Parce que l’état des lieux que nous propose Rem Koolhaas est un choix audacieux qui mérite qu’on s’y attarde. Et bien sûr, parce que quelle que soit l’aura de son commissaire, la Biennale nous donne l’occasion rêvée de (re)découvrir deux sites fabuleux de la Cité des Doges : les Giardini et l’Arsenale, havres de paix en marge du tumulte touristique.