Le patrimoine du XXe siècle a la particularité, et donc le grand intérêt, de parfois susciter de passionnants débats quant à sa conservation. Proche de nous, il nous est familier et fait l'objet d'un attachement qui n'a rien à voir avec celui ressenti pour le château de Versailles ou le Mont Saint-Michel. Il est plus question de passion et d'usage, tant nous le vivons finalement, tant il fait partie de notre paysage.
« Observer, puis inventorier les pièces constituantes du savant puzzle de la rue de Mouzaïa, conçu il y a quarante-cinq ans, semblait aller de soi avant de prendre une quelconque décision. Une des postures de cette transformation s'est rapidement révélée par la décision d'interpréter le sujet original. Bien souvent, la conservation est la règle et la restitution "à l'identique" en est l'outil. L'atelier a pris le parti de poursuivre le récit de Parent », écrit Patrick Rubin, de l'agence Canal, dans un ouvrage dédié au projet. Le raffinement de cette démarche caractérise l'ensemble des choix effectués lors de la transformation de ce rare exemple d'architecture brutaliste parisien, livré par Claude Parent et André Remondet en 1974 pour le compte de l'ancienne Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales (DRASS). Celle-ci, à l'étroit dans l'ancienne manufacture de machine à coudre, construite par Pierre Sardou et Maurice Chatelan en 1924, qu'elle a récemment rachetée, leur en commande alors l'extension. Les deux architectes conçoivent ainsi un bâtiment en L, épais de 18 mètres, irrigué par un escalier à doubles volées contrariées, sur un imposant socle de quatre niveaux en sous-sol. Narratrice de l'organisation intérieure et de la rationalité constructive, la façade en béton brut, lisse et cannelé, est massive et parfaitement affranchie de son contexte bucolique immédiat. Savant assemblage mécanique d'éléments préfabriqués en usine et sur chantier, et de béton coulé en place, elle est remuante mais rigoureuse. Trente ans plus tard, la DRASS déménage et laisse la place à l'Armée du Salut et un groupe d'artistes, qui quitteront les lieux après le rachat des deux immeubles par la RIVP en 2015. Cette dernière organise alors un concours restreint avec cinq agences d'architectes pour la réhabilitation de l'ensemble, dont le programme prévoit la création d'un centre d'hébergement d'urgence pour l'Armée du Salut dans l'ancienne manufacture (phase 2), et l'installation d'une résidence étudiante, d'une résidence pour jeunes travailleurs, d'un espace de coworking et de logement-ateliers d'artistes dans le bâtiment de Parent et Remondet (phase 1).
« La trame existante étant parfaitement apte à recevoir ce nouveau programme, aucune modification majeure de la structure n'est nécessaire, l'escalier à doubles volées contrariées existant est replacé au centre du dispositif. »
Patrick Rubin et ses collaborateurs vont alors analyser cet extraordinaire édifice dans le moindre détail afin de répondre avec précision et justesse à chaque sujet. Face à sa bonne santé générale et sa rationalité capable, ils prennent le parti de « réparer plutôt que de réhabiliter ». La trame existante étant parfaitement apte à recevoir ce nouveau programme, aucune modification majeure de la structure n'est nécessaire, l'escalier à doubles volées contrariées existant est replacé au centre du dispositif. La distribution est redécouverte et dotée d'un éclairement naturel augmenté. Les deux sujets techniques plus conséquents relèvent des normes constructives actuelles, qui permettent à Patrick Rubin de poser « l'insondable question de leurs nécessités en regard du crédit carbone », d'autant plus complexe à l'aune des exigences énergétiques de la MOA qui vise le Plan Climat de la ville de Paris, la certification Cerqual PH&E et le label BBC Effinergie Rénovation. Malgré tout, les planchers existants constitués de poutrelles, hourdis et dalle de compression seront rehaussés en béton allégé sur 70 millimètres d'épaisseur, pour une meilleure performance acoustique. Tandis que la façade, non isolée et équipée de fenêtres simple vitrage, fera l'objet du plus grand soin, avec l'objectif « d'en réinterpréter l'identité en en préservant l'effet sériel caractéristique ». Ainsi, les 600 menuiseries ont été remplacées par des ouvrants à la française sur mesure en chêne, matériau plus chaleureux, légèrement déportées dans l'épaisseur de l'isolation thermique par l'intérieur. Enfin, les dégradations surfaciques et esthétiques de tous les bétons ont été traitées par lavage haute pression, décapage manuel, ponçage et piochage, dégarnis sage des fers, passivation des aciers, reprise au mortier et application d'une solution hydrofuge. Les façades ainsi « réinterprétées et non restituées » vibrent de nouveaux jeux d'ombres et de lumière, le béton lisse et cannelé toujours aussi expressif retrouve de sa puissance, l'ensemble est clairement plus affable malgré « quelques cicatrices ineffaçables, stigmates appréciables révélant le passé ».
Luc Guinguet, architecte et dessinateur, collabore avec Canal architecture depuis plusieurs années. Par le dessin à la main, il intervient sur toutes les phases du projet. Plus qu'un outil de représentation, son trait participe à l'analyse et la définition des intentions.
La mixité du programme a aussi été conçue avec l'idée que ces différents types de population pourraient partager plus qu'un espace. Pour servir cela, contrairement au programme qui prônait plusieurs accès depuis la rue, les architectes ont fait le choix d'une seule et vaste entrée principale menant à quatre sous-entrées afin qu'étudiants, jeunes travailleurs, artistes et coworkers se croisent effectivement.
Fiche technique
♦ LOCALISATION Paris 19, France
♦ ARCHITECTES Canal Architecture - Patrick Rubin
♦ COLLABORATEURS Annie Le Bot, Antoine Hersant, Clément Vulliez, Alice Giacovelli, Camille Muys, Minh Tâm Nguyen, Clara Lesbros
♦ MAÎTRISE D'OUVRAGE RIVP
♦ AMO HQE Citae
♦ UTILISATEURS RIVP, Crous de Paris, Armée du Salut, Fab City Hub Paris
♦ PROGRAMME Réhabilitation d'une opération de bureaux cosignée Claude Parent et André Remondet en un ensemble à vocation d'habitat
♦ SURFACE DE PLANCHER 8 186 m²
♦ COÛT TRAVAUX 14 millions d'euros HT soit 1 700 € HT/m²
♦ CONSULTATION Janvier 2015
♦ ÉTUDES 2015 - 2016 (24 mois)
♦ CHANTIER 2017- 2020 (27 mois)
♦ LIVRAISON 2020 (phase 1)
BUREAUX D'ÉTUDES ET COTRAITANTS
♦ RECHERCHES PATRIMONIALES soja architecture
♦ EXPERTISE STREET ART Valériane Mondot
♦ STRUCTURE Khephren
♦ FLUIDES Espace Temps
♦ ACOUSTIQUE Itac
♦ SIGNALÉTIQUE Boscher
♦ PAYSAGE d'ici-là
♦ DESSINS Luc Guinguet
ENTREPRISES
♦ GÉNÉRALE GTM Bâtiment - Vinci Construction France
♦ MENUISERIE EXTÉRIEURE BOIS MOBILIER Novo Modelo
♦ ASCENSEUR CFA
MATÉRIAUX ET FOURNISSEURS PRINCIPAUX
♦ MENUISERIE ALUMINIUM PATIO Technal
♦ MOBILIER Mobidécor, IDM
♦ MENUISERIE ETBM
♦ ISOLATION THERMO-ACOUSTIQUE Knauf
♦ RÉSINE DE SOL Janvic
♦ CAOUTCHOUC COULÉ Bangui
♦ LINOLEUM Forbo
♦ CARRELAGE Winckelmans
♦ ÉCLAIRAGE Sfel, Fritz Hansen, Molto Luce, Bega, IG uzzini, LLG, Sammode