L’idée de collage a cela de britannique qu’elle manipule l’histoire sans en faire ni le prétexte d’une ironie recherchée, ni d’une morale révérencieuse. Et dans le district londonien de Southwark, le bricolage, pour parler comme le critique d’architecture Colin Rowe, bat son plein. Sur la rive sud de la Tamise donc, à moins de 900 mètres des millions de visiteurs annuels venus admirer les joyaux de la couronne à l’abri de la tour de Londres, la rue Snowsfields conserve son calme. Pourtant, l’ancienne identité industrielle de ce morceau de ville a été, en à peine quelques décennies, largement bouleversée, autant en programmes qu’en constructions ; au point que le changement perpétuel devienne partie intégrante de son caractère. De son flegme, pourrait-on dire. Dans cet ancien quartier de tanneries, d’entrepôts et de magasins, dans la zone d’attention patrimoniale de Bermondsey, une parcelle triangulaire exiguë d’une vingtaine de mètres carrés devient – pression foncière aidant – un lieu de potentiel.
Un emplacement sans doute idéal pour le joaillier Alex Monroe souhaitant développer une activité de bijoux sur mesure; à l’ombre de la destinée consensuelle des formes de diamant du Shard construit par Renzo Piano.
En proue d’un bloc d’immeubles édouardiens et face à la ruelle pavée de Ship and Mermaid Row, qui témoigne du tissu urbain médiéval, le site jouit d’une visibilité singulière. Bâtie seulement en rez-de-chaussée, l’échoppe existante s’est vue coiffée d’une extension verticale de trois étages supplémentaires par les soins de l’agence DSDHA, dont les bureaux de Kennington voisinent avec l’atelier d’origine d’Alex Monroe. Le volume, juché avec légèreté sur les épaisses moulures de la corniche unifiant les huit boutiques de la rue, vient conclure l’ensemble en couvrant un mur pignon. Un joint creux et un subtil porte-à-faux lui confèrent le détachement d’une cabane. En fait, l’existant a été démoli pour faire reposer l’ossature bois sur un portique métallique. Seul le mur de brique à l’arrière a été conservé, et les moulures reproduites. Les panneaux structurels en bois lamellé-croisé (CLT), préfabriqués et livrés depuis la Suisse, ont été assemblés en deux jours. Le chantier n’a ainsi occupé l’espace public qu’un temps minimal. Les parois d’épicéa forment une armature simple portant en façade et sur le noyau de l’escalier. Apparent à l’intérieur, le même lamellé-collé est utilisé pour le design du mobilier. Seulement laqué, il crée une ambiance d’écrin pour ces petits espaces d’atelier, de vente et de réunion qui se superposent.
La couverture en zinc pigmenté aux teintes brun-rouge enveloppe l’édifice selon une trame striée et ajourée devant les ouvertures et lui donne son unité non figurative.
Un refus de symbolisme affichant tantôt une fenêtre là où elle est utile, tantôt composant des ouvertures monumentales en mutualisant deux baies superposées. Un style qui a quelque chose d’awkward (« gênant ») comme Deborah Saunt, directrice de l’agence, aime à le revendiquer dans ses recherches. Cette peau est aussi le résultat d’un long combat, car refusée par les services techniques de la ville, arguant la nécessité de prendre en compte le contexte essentiellement fait de brique. DSDHA trouve d’abord un compromis avec un revêtement en terre cuite, un système qu’elle avait expérimenté avec succès à South Molton Street. Pour compliquer les choses, le fabricant a entre-temps triplé ses prix et ainsi bloqué le projet. Pendant un an de négociation, les locaux sont occupés sans plus de façade qu’un pare-pluie et un pare-vapeur. La situation se débloquera en faveur du zinc, l’intérêt de la création d’emplois et d’un tel lieu de production pour la vie du quartier étant finalement pris en considération. Les feuilles de zinc pliées sur place par un couvreur traditionnel sont un rappel de la nature des activités qu’elles abritent.
« Les bijoux faits main et désormais aussi sur mesure demandent une habileté à laquelle la façade rend hommage. »
En effet, les nervures verticales des feuilles métalliques sont assemblées de manière à ce qu’aucun joint de raccordement ne soit apparent, nécessitant des détails soignés pour relier les différents types de nervures. D’une profondeur de 9 centimètres sur la façade principale, elles se réduisent de moitié à l’arrière et en partie haute pour accompagner la transition entre brique et crépi du bâtiment contigu. La déclinaison ajourée, elle, a recours à un renfort en acier pour maintenir les lames devant les fenêtres. La vue pourtant a déjà changé : démolis en 2015, des bâtiments voisins ont été remplacés par un nouvel ensemble immobilier plus mimétique dans cette atmosphère de brique.
Article paru dans exé 27 : façade métallique (mars/avril/mai 2017)
FICHE TECHNIQUE
STUDIO ALEX MONROE / DSDHA
LOCALISATION Snowsfields, Londres sud, Royaume-Uni
ARCHITECTE DSDHA – Deborah Saunt, David Hills
COLLABORATEURS Martin Pearson, John Zhang
MAÎTRISE D’OUVRAGE Alex Monroe
PROGRAMME Atelier et boutique pour le joaillier Alex Monroe
SURFACE NETTE 115 m² 115 sq m
COÛT DES TRAVAUX 440,000 GBP (520 000 euros environ)
LIVRAISON 2012
BUREAUX D’ÉTUDES ET CONSULTANTS
STRUCTURE Structure Workshop
FLUIDES Con-Serv
ÉCONOMIE Robert Martell & Partners
FAÇADE Procare
ENTREPRISES
GÉNÉRALE Neilcott Construction
BARDAGE Roles Broderick
FOURNISSEURS PRINCIPAUX
BARDAGE ZINC VMZinc
OSSATURE BOIS KLH