À l’est du plat pays chanté par Jacques Brel, la Flandre-Orientale est tout aussi dépourvue de relief, mais pas de beauté ni de spécificité. Située au nord-ouest de cette province flamande, entre Gand et Bruges, à la frontière hollandaise, le Meetjesland est une région campagnarde caractérisée par des polders au nord et de grands massifs boisés au sud. C’est dans ce paysage officiellement reconnu que se situe Saint-Jean-in-Eremo, troisième section de la ville de Saint-Laurent qui en compte cinq (Sint-Laureins en néerlandais), petite commune de quelque mille habitants que l’administration provinciale a dotée d’un équipement de sport et de loisirs. Et ce sont les architectes Ralf Coussée et Klaas Goris qui ont remporté le concours organisé par le Vlaams Bouwmeester ( sur esquisse et oral de présentation) avec un projet élégamment guidé par cet environnement d’une grande valeur. Dus à l’affouillement de la mer du Nord toute proche via l’Escaut, moult digues, mares et étangs, de toute dimension, souvent allongés, parsèment des plaines aujourd’hui agricoles. Ces criques remplies d’eau sont parfois connectées par des canaux creusés par l’homme pour le transport de la tourbe, activité aujourd’hui arrêtée. Longues bandes de terre cultivées, étendues d’eau paisible et peupliers rigoureusement plantés le long des quelques voies routières composent donc un panorama anthropisé et mélancolique parsemé de quelques petits villages épars.
De Boerekreek, la « Crique des paysans », est un centre de loisirs et de sports permettant la pratique de toutes sortes d’activités aquatiques et nature ainsi que le séjour de quatre-vingts personnes environ. Il est principalement dédié aux enfants qui peuvent y trouver chevaux et poneys, kayaks, voiles et vélos lors de classes vertes ou de colonies de vacances. À l’est d’un étrange et vaste plan d’eau de 39 hectares qui lui donne son nom, il est composé d’un grand corps de bâtiment abritant les écuries et le manège au nord, d’un édifice long et plat en « L » au sud-est et de plusieurs pavillons rénovés au sud accueillant les locaux administratifs et de gestion du site. Aussi simple que rigoureuse, l’organisation générale est structurée par les interstices qui offrent de multiples cadrages sur les alentours, et les espaces extérieurs qui sont autant de circulations que de lieux de rencontre et de partage. Le préau d’entrée tout d’abord ; situé à l’angle sud-est du « L », il est l’articulation principale entre l’aile des dortoirs au sud et celle du réfectoire à l’est. Marqué par la poutre surbaissée du portique qui le forme, il est le prélude, vide et manifeste, à la matérialité qui caractérise tout l’édifice : bois (mélèze de Sibérie), transparence et gris foncé. La grande cour centrale ensuite : lieu de passage, de flânerie et de jeux pour tous, enfants comme équidés, fermée à l’ouest par la digue qui précède l’étang.
À l’image de l’homogénéité caractérisant la toile de fond, les bâtiments sont unitaires même si structurellement conçus différemment. Au-delà de cette couleur gris-bleu uniformément appliquée, c’est au niveau de la rythmique, de la sobriété et du souci esthétique que la cohérence devient évidente. Les 28 chambres et les locaux de stockage occupent la plus longue bâtisse générée par 35 portiques disposés sur une trame de 3,30 mètres. La façade, en retrait d’un peu plus d’un mètre des poteaux, forme une coursive couverte reliant directement les chambres à la cour centrale. Pas de circulation au sein de ce volume, c’est par l’extérieur que les liaisons se font, en continuité totale avec les espaces intérieurs. Le même système pivote ensuite à 90° pour former le bâtiment accueillant préau, sanitaires, réfectoire et cuisine. Sur une trame plus serrée d’un mètre d’entraxe, 41 de ces mêmes portiques scandent le nu extérieur d’une peau totalement vitrée qui transforme les repas en pique-nique champêtre. C’est par une légère inflexion de sa façade que l’on aborde le corps réservé à la gent équine ; tout de bois composé également, il vient fermer le site au nord. Plus haut, le règlement autorisait 10 mètres maximum, et plus massif, c’est une nef extraordinaire dont la travée unique accueille dix-huit boxes suivis d’un manège, couverts d’une magnifique charpente conçue avec l’ingénieur Guy Mouton. Si depuis l’extérieur le faîte semble s’affaisser en son milieu, à l’inverse, depuis l’intérieur, l’espace se dilate et vibre au rythme des treize fermes articulées toutes différentes qui portent sur 20 mètres dans le sens transversal. En référence aux étonnants corps de ferme locaux, Coussée et Goris ont imaginé ici une grange contemporaine dont les rives et le faîtage ondulent dans le ciel cobalt. Vertical en partie haute, le bardage dissimule la structure secondaire qui le porte, tandis qu’elle reste apparente en partie basse lorsque le bardage passe à l’horizontale au niveau des portails d’accès ; on retrouve alors la rythmique qui caractérise les deux autres corps de bâtiment, avec peut-être des intonations japonaises en plus. Face à un tel environnement, suffisamment soumis et modifié par l’homme, le centre De Boerekreek ne pouvait s’imposer ni se gargariser. Mais humilité ne rime pas non plus avec asthénie ou mutisme ; le brillant ouvrage de Klaas Goriset Ralf Coussée est rigoureux sans être sévère, précis mais jamais rigide. Conçu tel un filtre dans le paysage, il en est le reflet frugal et géométrique.