Rédigé par Christian Moguérou | Publié le 31/10/2016
Un vrai programme mixte qui installe au cœur de la ville des logements sociaux, des logements en accession, un EHPAD, un lieu de culte et des commerces. Tout est presque double dans ce résultat visible et fortement coloré : la collaboration de deux architectes, Jean Bocabeille et Anne-Cécile Comar de l’Atelier du Pont, l’affirmation de la mixité, le regard croisé de deux bâtiments qui se font face, une architecture alerte, agile, qui vient apporter une réponse à la densité urbaine. Rencontrer les deux architectes chargés du projet, c’est tenter de comprendre le principe d’une cohabitation professionnelle. Alors oui, il y a parfois nécessairement débat, « ça discute », « ça s’engueule aussi », mais finalement ça construit ! Un quartier en pleine extension, un quartier historique, qui se sait double, de limite et de démarcation entre un « ouest » et un « est », entre une partie ouvertement bourgeoise et une zone absolument populaire. Il y avait un enjeu fort, une conciliation à définir en ne négligeant pas les objectifs de mixité sociale et d’enjeu sociétal. La cohabitation se joue aujourd’hui à l’échelle d’un quartier. « Nous avons donc travaillé sur les formes, disent-ils de concert. Il y avait un affichage politique fort, car on ne peut plus aujourd’hui imaginer des villes en faisant du zoning, ce projet est donc en quelque sorte un véritable traité de mixologie. » Une totale collaboration entre architectes. « Nous avons cherché à obtenir une homogénéité dans un endroit où chacun tente de jouer, voire de surjouer la singularité. L’EHPAD est au centre de l’îlot pour des raisons de hauteur et de gabarit, ensuite il fallait lui trouver des vues, travailler sur les biais. » À l’arrivée, une écriture architecturale qui n’a eu de cesse de vouloir résonner, d’apporter un résultat en écho, dans un lieu où tout semble un peu dissemblable. D’où ce travail sur les formes, les couleurs, sans tenter d’établir une logique de distinction qui, en général, prévaut dans ce type de projet et dans la démarche de construction de nouveaux quartiers. Il a fallu gérer la densité, jouer des regards des bâtiments et donner du sens aux biais. Une collaboration qui a su déjouer les effets de façades. L’architecture au cœur de la ville sans opportunisme. L’architecture pure et dure en quelque sorte.
DÉJÀ CULTE
Pas banal ! Un lieu associatif dit cultuel. Une chapelle dont il a fallu composer la croix et une relation tissée avec les autorités religieuses pour permettre de bâtir juste et un peu sacré. La maison Ozaman est ainsi née formant le socle du bâtiment en accession avec des volumes complexes et une couleur toute particulière et voulue, exprimant avec vivacité son orange. La croix posée à l’intersection de la rue René-Blum et de l’impasse Chalabre surprend, intrigue, questionne pour finalement séduire. Une chapelle en double hauteur qui devait marquer les esprits donnant sur le jardin en cœur d’îlot, creusé dans la masse des logements. Et pour tout dire : déjà culte.
OH PANTONE
Déroger aux habitudes… Paris est une ville grise qui parfois a eu peur de vivre en couleur. Cette fois les tonalités se parlent, les bâtiments communiquent, conversent presque. « La couleur en architecture, c’est un sujet », comme le dit Jean Bocabeille. En Calabre et en Norvège, ce n’est pas une question, à Paris, c’est un objet en soi. « La couleur ce n’est pas évident, précise Anne-Cécile Colmar. Les gens sont rétifs, car les couleurs dans les enduits ne sont pas faciles à gérer. Elle est plus belle dans la masse et souvent de très bonne qualité, et là nous avons trouvé des solutions techniques, adaptées, car cette question pose celle du vieillissement des façades et des constructions. » Il fallait oser bâtir Pantone. Et ici, juste là, c’est réussi.
DIAGONALE
Deux bâtiments qui se font face : « L’architecture, c’est d’abord du débat », dit Jean Bocabeille. Puis la logique d’une silhouette, un bâtiment qui s’avance puis se retire, une écriture architecturale qui s’exprime, apporte un vrai décalage par rapport à des postures attendues. « Nous avons travaillé sur les diagonales, les retraits, les biais. La parcelle nous obligeait de toute façon à architecturer les vues, nous ne cherchions pas à dire quelque chose, mais à trouver une attitude particulière. Il fallait déjouer les problèmes de densité urbaine. Le travail d’épannelage du bâtiment en accession libère les champs de vision et offre ainsi cette image de piton rocheux très identifiable. » Dont acte !
Article paru dans exé 25 spécial extension (sept./oct./nov.)