En fondant leur monastère au pied de la falaise d’Agaune, dans le canton suisse du Valais, les moines du Ve siècle pensaient-ils qu’elle allait les protéger ? Des invasions peut-être, mais des chutes de pierres sûrement pas… Mille cinq cents ans plus tard, las du danger permanent que constituent les éboulements, les religieux font construire par les architectes Laurent Savioz et Claude Fabrizzi une couverture haubanée de 1 200 mètres carrés, ancrée dans la roche.
À l’origine, la basilique s’élevait immédiatement au bas du massif. Six édifices religieux se sont succédé là, jusqu’à l’éboulement destructeur de 1611 qui convainc la congrégation de déplacer la construction une quinzaine de mètres plus en avant de la falaise, sur son site actuel. Zone à risque, l’interstice la séparant du roc est peu à peu abandonné. Ce n’est qu’en 1898 qu’un chanoine lance les premières fouilles, complétées par quatre campagnes successives dont la dernière s’est terminée en 2006. Aujourd’hui, les vestiges des différentes édifications chrétiennes et romaines ont été mis au jour. Les ouvrir à la visite était un devoir pour cette communauté religieuse dont la vocation est l’accueil, la rencontre et l’étude. Pour ce faire, protéger le public des éventuelles chutes de pierres s’avère essentiel.
La mission est confiée à Savioz & Fabrizzi qui imaginent un auvent en acier, épousant le profil de la roche d’une part et celui de l’église d’autre part, de façon à recouvrir totalement le site archéologique. L’Office des monuments historiques excluant toute occupation du sol, la structure est uniquement fixée à la falaise. Mesurant 65 mètres sur 25 mètres au niveau de ses axes les plus longs, elle est constituée de onze poutres, chacune ancrée sur deux mètres dans le roc (plus que nécessaire afin d’inclure une marge de sécurité) et suspendue par quatre haubans. Les tire-fond supportant les câbles sont enfoncés sur six mètres et l’ensemble est dimensionné de façon à résister si l’un de ces derniers venait à se rompre. « La plus grande difficulté a résidé dans l’interdiction de toucher au sol : les ancrages ont été faits par des alpinistes, les machines de forage déplacées par des hélicoptères, une grue posée dans le cloître inaccessible en véhicule », précise l’architecte. La plate-forme est recouverte d’un treillis d‘acier zingué et de panneaux ondulés en fibres de polyester posés depuis un platelage suspendu à la structure. Elle est parsemée de 170 tonnes de pierre rappelant aux visiteurs l’histoire du site et le danger permanent planant dessus. Mais le temps semble s’être suspendu. Comme figée en lévitation, la roche qui constituait hier un danger contribue aujourd’hui à protéger le site : d’un point de vue structurel, sa masse permet d’équilibrer la pression exercée par le vent sur la structure, et d’amortir le choc provoqué par les éboulements. Elle filtre également la lumière, générant un éclairage diffus et légèrement tamisé, incitant au calme et au recueillement.