Avant de devenir cette vitrine du savoir sur l'espace public, face au collège néerlandais de la Cité internationale universitaire de Paris - seule œuvre en France de Willem Marinus Dudok et témoignage majeur du courant architectural moderniste des années 1920 - le site du campus Jourdan accueillait l'ancienne École normale supérieure de jeunes filles, dite « Sèvres ». Relocalisée là en 1948, dans des bâtiments provisoires qui n'ont jamais été reconstruits, c'est en 2007 qu'est décidée sa restructuration et son extension afin de rassembler en un seul et même lieu l'École normale supérieure (ENS, fusion de Sèvres et d'Ulm en 1985) et la Paris School of Economics (PSE), un centre entièrement dédié à la recherche et à la formation en sciences sociales. L'agence Thierry Van de Wyngaert architectes associés (TVAA), retenue à l'issue du concours lancé en 2011, propose que les deux entités soient clairement identifiables et lisibles, organisées autour d'espaces communs, mais aussi que le bâtiment s'intègre dans son îlot paysager et réponde à des enjeux environnementaux en valorisant notamment lumière et ventilation naturelles.
Compte tenu de l'échelle du programme qui doit accueillir près de 2 000 utilisateurs, la compacité s'impose tout en générant un rapport physique et visuel intense avec l'extérieur, qui va se traduire par de multiples dispositifs d'ouverture pour une qualité d'usage perceptible depuis l'espace public.
Des neuf bâtiments existants, ceux bordant la rue de la Tombe-Issoire - au nombre de quatre - sont démolis, tandis que les cinq autres accueillent cent chambres d'internat. La place est donc faite pour un édifice de 12 500 mètres carrés, contraint de s'aligner sur la limite parcellaire ouest, afin de participer, comme attendu, à la requalification urbaine de cet axe. Côté sud, sur les Maréchaux, la double hauteur redonne l'échelle du bâtiment d'accueil d'origine. C'est côté jardin toutefois que le programme devient le plus lisible, que les façades se creusent ou se dilatent, que les volumes se distinguent de part et d'autre d'un escalier extérieur. Les lignes brisées de l'édifice se reflètent dans celles du jardin où les eaux pluviales se rassemblent, participant pleinement à la gestion écologique du lieu et symboliquement au ruisseau grandissant de la pensée. Ou « un enroulement de la connaissance au milieu des arbres », décrit TVAA.
FONCTIONNALITÉ
Le bâtiment s’étire sur plus de 100 mètres et s’élève sur neuf niveaux où se superposent les fonctions. Le socle, en partie enterré, accueille les espaces communs reliant les deux écoles - bibliothèque, cafétéria, amphithéâtre - ainsi que les deux accueils distincts, avec côté sud celui de l’ENS et au nord celui de la PSE. Les premier et deuxième étages abritent les masters. Quatre niveaux de bureaux réservés aux chercheurs couronnent le tout, évocation explicite des cellules monacales propices à l’isolement et à la réflexion. La vue en coupe révèle l’aménagement de deux patios intérieurs, de véritables pièges à lumière qui favorisent aussi la circulation de l’air, les bureaux étant tous équipés de fenêtres ouvrantes selon le besoin des utilisateurs. Les deux entités restent indépendantes, et les lieux de rencontre en côtoient d’autres plus calmes. Dans un esprit de développement durable, la trame de construction régulière des bureaux facilite leur flexibilité.
SE CROISER
L'organisation des circulations est commandée par le contexte somme toute très végétal du campus et par la volonté de concevoir des « parcours de lumière ». Outre le jardin, un parc borde la façade nord et de l'autre côté de la rue s'étend la vaste pelouse du réservoir de Montsouris. Réinterprétant le déambulatoire de l'un des bâtiments existants, le rez-de-chaussée ouvert génère des espaces extérieurs abrités, ainsi qu'une transparence depuis la rue jusqu'au jardin et des cadrages variés. Tout comme l'escalier extérieur, véritable colonne vertébrale de l'édifice mise à nu, qui invite à être utilisé pour profiter des vues. Même intention avec la façade nord entièrement vitrée - la seule qui ne soit pas recouverte de volets -, qui s'épaissit pour contenir les escaliers. Ailleurs, aux étages des masters, la circulation se fait en belvédère sur le parc. La dynamique de la vie étudiante implique ces espaces informels qui sont autant de points de convergence.
VOLETS
Sur les façades ouest, sud et est, 2 000 grands brise-soleil verticaux orientables manuellement recouvrent les fenêtres sur toute leur hauteur. D'une largeur de 22 mm, chaque volet en mélèze est paré sur son recto d'un inox poli. Fixes en R+1 et R+2, ils sont sur les quatre niveaux supérieurs assemblés par trois - avec 417 mm entre chaque axe. Chaque série peut être actionnée depuis l'intérieur des bureaux grâce à un levier de déverrouillage permettant de la faire pivoter sur une platine d'indexage. Les utilisateurs régulent ainsi l'entrée de lumière naturelle et les apports caloriques solaires. Depuis l'extérieur, leur face métallique renvoie les reflets selon l'orientation, donnant aux façades une vibration toute particulière. Le rythme régulier du côté jardin est interrompu sur rue du fait des accès pompiers. Une manière subtile d'affirmer, comme attendu par le maître d'ouvrage, « l'identité et le caractère d'équipement public remarquable du bâtiment », tout en restant dans un esprit « low tech ».
Article paru dans exé 29 : Éclairage architectural (sept-oct-nov 2017)