Terre de contrastes, les Pays-Bas présentent une nébuleuse urbaine unique en Europe sur sa façade ouest, proche de la mer. Paradoxalement, au nord, le pays a su préserver des zones de nature sauvage exceptionnelle, tel le parc Weerribben-Wieden couvrant pas moins de 95 kilomètres carrés. C'est ce patrimoine que le trio commanditaire - l'association gouvernementale Natuurmonumenten, la compagnie des eaux, Vitens et BOEi, une structure de protection des monuments historiques - souhaitait valoriser à travers la transformation du château d'eau de la petite commune de Sint Jansklooster. Le village borde cette zone de marécages où lacs, étangs, canaux et forêts sont entrecoupés de tourbières et de roselières. Le coup est double puisqu'il s'agit en même temps de sauvegarder un élément du patrimoine bâti : élément repère du territoire, le château d'eau d'une hauteur de 48 mètres est en effet une remarquable architecture de brique. Installée à Utrecht, l'agence Zecc architecten à qui a été confié le projet est engagée en matière de préservation architecturale. Selon Bart Kellerhuis, codirecteur de l'atelier, « les transformations de la société laissent vacants un grand nombre de très beaux bâtiments comme les églises, ou encore les châteaux d'eau remplacés aujourd'hui par des systèmes de pompage sophistiqués. Il est difficile de maintenir ces édifices, pourtant, beaucoup relèvent de l'artisanat, car ils sont construits avec des matériaux de grande qualité que l'on ne peut plus utiliser à l'ère de la préfabrication. Il faut en protéger certains et trouver des programmes adéquats. »
« UN ENCHAÎNEMENT DE TROIS ESCALIERS METTANT EN VALEUR LA VOLUMÉTRIE EXACERBÉE DE L'ÉPAISSE TOUR. »
Au début des années 2000, les clients contactent Zecc pour qu'ils réalisent un belvédère en haut du château d'eau. Après de longues discussions, Bart Kellerhuis et son associé Marnix van der Meer parviennent à les convaincre qu'un escalier, simple mais bien dessiné, peut devenir porteur de tout autre chose, peut révéler la mémoire des lieux tout en offrant une expérience spatiale hors du commun. Le duo propose alors un enchaînement de trois escaliers mettant en valeur la volumétrie exacerbée de l'épaisse tour. La première partie du voyage commence par un escalier totalement clos donnant accès à un premier niveau, situé à 4 mètres de hauteur. Dès lors, le visiteur débarque dans le gigantesque corps du château d'eau fait de béton. Un escalier en bois, suspendu, dont les sept volées traversent l'espace dans différentes directions, mène à l'intérieur de l'immense réservoir.
L'échelle humaine est éprouvée dans ce déplacement vertical, d'autant plus qu'une petite plateforme intermédiaire, fermée, sécurisée et équipée d'un banc intégré, permet une pause contemplative.
La situation est rendue encore plus étrange car la montée d'origine, alternant volées classiques et échelles plaquées contre les parois, a été conservée. Un troisième escalier métallique, léger et transparent, collé contre la paroi, donne accès à la terrasse panoramique au plus haut niveau. Il faut alors traverser l'ancien réservoir à eau, gigantesque, dont la dalle et le couvercle ont été découpés pour placer les trémies de l'escalier. De là-haut, les points de vue sont extraordinaires : sur les petits communs alentour et surtout sur la faune et la flore. Pour dégager ce panorama, quatre nouvelles ouvertures ont été percées dans la toiture recouverte de tuiles noires, refaite à l'intention de ce nouvel usage. La construction de l'escalier de bois en contreplaqué, enduit d'un vernis protecteur contre le feu et structuré par des poutres métalliques IPE de 33 centimètres de section, n'a pas soulevé de difficultés techniques particulières. Ce fut le contraire concernant la logistique du chantier : son organisation a nécessité une mise au point très précise en raison de l'étroitesse du lieu et de son accès par une petite porte. Aussi, alors que ce type d'ouvrage est habituellement préfabriqué, il a été ici monté par petits morceaux aux dimensions assujetties à la taille de l'ouverture d'entrée dans la tour. Un échafaudage a été construit, permettant aux charpentiers de procéder aux découpes d'ajustements et à l'assemblage sur place. Quant au squelette métallique, il a été fixé dans le béton de la construction massive, dont les murs de quasiment un mètre d'épaisseur étaient à même d'en accueillir les charges.
La partie la plus longue fut celle des négociations : dix années de discussions avec les trois protagonistes du projet furent nécessaires. Il fallait surtout convaincre la BOEi d'accepter les transformations de l'ancien château d'eau. Une fois les décisions entérinées, quatre mois ont suffi, grâce à d'épais carnets de détails, pour mener à bien le chantier. Dans la pratique, le lieu peut accueillir quinze personnes simultanément, accompagnées d'un guide, et il bénéficie d'une vive forme de reconnaissance, dont celle des habitants et des ouvriers ayant pris part à l'édification, heureux de présenter à leurs familles l'œuvre sculpturale accomplie.
Article paru dans exé 28 : escaliers ( juin - juillet - août 2017)
FICHE TECHNIQUE
♦ LOCALISATION Sint Jansklooster, Pays-Bas
♦ ARCHITECTE Zecc architecten, Bart Kellerhuis et Marnix van der Meer
♦ COLLABORATEURS Tom Leerkes, Mark Gerritsen
♦ MAÎTRISE D'OUVRAGE BOEi, Natuurmonumenten & Vitens
♦ PROGRAMME Transformation d'un château d'eau en tour de guet CONCOURS 2007
♦ LIVRAISON 2014
ENTREPRISES
♦ STRUCTURE Maneschijn Bouw, Hofman constructies