ENTRETIEN AVEC BERTRAND POTEL
Architecte, ingénieur, designer et directeur associé au sein de l'agence DVVD
Quels étaient les enjeux du programme et les demandes de la maîtrise d'ouvrage ?
Les travaux de modernisation du stade, lancés par la Fédération française de Tennis (FFT) dès 2011, prévoyaient la refonte complète du triangle historique de Roland-Garros [délimité par le boulevard d'Auteuil, l'avenue de la Porte d'Auteuil et l'avenue Gordon-Bennett, NDLR], qui jouxte les fameuses serres du jardin d'Auteuil près desquelles a été installé le nouveau court Simonne-Mathieu [livré en 2019 par Marc Mimram pour le compte de la FFT, NDLR]. Tout en préservant le caractère unique de Roland-Garros, véritable lieu de détente et de loisirs de plein air, la rénovation du site a porté sur la réorganisation et l'amélioration des courts annexes, la création de plusieurs bâtiments complémentaires et s'est terminée par la rénovation du bâtiment clé du site, le court central Philippe-Chatrier. Il s'agissait d'améliorer le confort des joueurs, de mettre à disposition de meilleurs services et équipements pour la presse et les spectateurs, d'améliorer le confort et la visibilité depuis les gradins et, bien sûr, de créer le toit mobile qui permet la continuité du jeu sans interruption en cas de pluie. Associés à ACD Girardet, architectes historiques de Roland-Garros, nous avons remporté le concours d'architecture et d'ingénierie pour le toit mobile du court central en 2014, mais le chantier n'a commencé qu'en 2019, le temps que la FFT et la Ville de Paris mettent au point les possibilités d'extension du nouveau stade. Roland-Garros est le tournoi du Grand Chelem qui s'étend sur le moins de surface, mais il est très apprécié par les joueurs et les visiteurs pour sa proximité avec la ville de Paris, quand les tournois de Wimbledon et de l'US Open sont particulièrement excentrés par rapport à Londres et New York. Les discussions entre la FFT et la Ville de Paris ont entre autres porté sur les limitations en hauteur du court, ce qui nous a imposé la conception de poutres d'une très grande finesse.
Quel a été votre rôle sur ce projet de modernisation du court Philippe-Chatrier ?
À titre personnel, mon rôle chez DVVD est plus particulièrement tourné vers les ouvrages d'art et les sujets de structures complexes et d'architecture mobile. Nous avons gagné le concours d'idées pour la couverture du court Philippe-Chatrier en utilisant tout notre savoir-faire d'architectes, d'ingénieurs, mais aussi de designers. Nous avons très rapidement proposé à l'agence ACD Girardet & Associés de s'associer avec nous. Nous nous sommes concentrés sur la couverture, son dessin, sa technique, ses structures, mais aussi sur toutes les structures du court central et sur certaines des façades, tandis qu'ACD & Girardet travaillait sur le fonctionnement du court, les gradins - afin d'améliorer les courbes de visibilité pour les spectateurs - et la conception des espaces couverts (loges, salles de réception, tribune presse, centre de presse, accueil et vestiaires des joueurs, centres de commandement, etc. ). La Fédération ne souhaitait pas augmenter le nombre de places [15 000 places assises, NDLR], mais les assises ont été redessinées pour les rendre plus profondes [passant de 75 à 90 centimètres, NDLR]. La tribune Ouest a été refaite dans son intégralité, tandis que les niveaux bas en béton des trois autres tribunes existantes ont été conservés et surélevés d'une structure en acier [poteaux, poutres et crémaillères acier, NDLR], support des nouveaux gradins, des coursives et du toit mobile. Les surcharges induites par ces surélévations ont nécessité en amont de leur pose un fin travail de renforcement des fondations existantes.
Le dessin du toit mobile est inspiré des ailes d'un biplan, pour évoquer le grand aviateur que fut Roland Garros. Dès le début du projet, nous avons imaginé des ailes très transparentes, avec une cinématique de déploiement très simple. Contrairement aux autres stades du Grand Chelem, dont les courts pourvus de toitures mobiles ne s'ouvrent qu'au-dessus des joueurs, nous avons souhaité que le toit du court central se replie intégralement, exposant les gradins à l'air libre et au soleil en position ouverte. Ce choix a entraîné la conception d'une couverture de grande portée, dont les dimensions sont effectivement de 105 × 100 mètres. La création du nouveau toit rétractable allait bien sûr entraîner des descentes de charges importantes : il a fallu renforcer les poteaux et les fondations existants en amont de la pose du toit, dont les onze ailes pèsent entre 300 et 340 tonnes pièce pour une charpente métallique totale de près de 3500 tonnes. Il faut noter que l'un des challenges de ce chantier était de travailler entre deux tournois, par phases de chantier de neuf mois au terme desquelles il nous fallait rendre le stade à la FFT. Les travaux du court Philippe-Chatrier ont ainsi pris place sur trois ans, soit trois phases de neuf mois, et la pose des ailes a requis neuf mois à elle seule. Comme le site était très contraint, il nous était impossible de décaler la toiture au-delà des limites du court ; ainsi, lorsque le toit est ouvert, un peu moins d'un tiers de la surface du stade demeure abritée - ce qui n'est pas dommageable aux spectateurs, car la zone de stockage de la couverture en position dépliée se situant au nord du court, la tribune nord partiellement couverte bénéficie malgré tout d'un bon ensoleillement. Lorsqu'on actionne le déploiement de la toiture, la couverture totale du court se fait en quinze minutes pour des raisons d'économie d'énergie, car le système mécanique mis en œuvre permettrait un déploiement en dix minutes ; la première aile parcourt ainsi près de 60 mètres, tandis que la dernière reste fixe.
Quels sont les éléments qui structurent la toiture mobile ?
Les ailes sont d'abord composées de poutres caissons extrêmement fines de 105 mètres de long, 7 mètres de hauteur et 3 mètres de large, qui traversent le court de part en part. Sur ces caissons, qui constituent les bords d'attaque des ailes, reposent des nervures en acier couvertes d'une toile architecturale [tissu constitué d'une trame polyester précontrainte et enduite d'un PVC double face, NDLR]. Malgré le grand apport de lumière permis par cette toile translucide, qui diffuse une lumière très homogène, l'éclairage du court devient artificiel lorsque la couverture est déployée, pour le confort des joueurs. Si les ailes protègent le court des pluies verticales lorsque le toit est clos, il restait néanmoins nécessaire de rendre hermétique l'intervalle entre deux ailes : nous avons pour ce faire mis au point des structures intermédiaires en acier, plus légères et également recouvertes de toile architecturale, appelées « compas ». Ces derniers, qui tiennent lieu de pare-pluie, s'étendent entre les nervures lorsque la toiture est en position ouverte et se déploient au fur et à mesure que les ailes avancent au-dessus du court. L'évacuation des eaux se fait au moyen de chéneaux situés derrière les caissons principaux, qui se déversent dans d'autres chéneaux longitudinaux qui courent le long de la toiture. Les eaux pluviales sont ensuite récupérées dans des bassins de rétention situés sous les gradins, puis sont traitées et réutilisées à Roland-Garros.
Sur le plan de la mobilité, des bogies à trois roues disposés en quinconce sur une crémaillère se déplacent le long des poutres est et ouest, qui tiennent lieu de chemin de roulement, et permettent de replier les ailes et de faciliter leur empilement. Nous avons procédé à une série d'essais en soufflerie au CSTB [Centre scientifique et technique du bâtiment, NDLR] pour vérifier la réaction des ailes au vent et leur comportement dynamique ; comme nous sommes allés loin dans l'optimisation de la quantité d'acier grâce à des épaisseurs minimum de tôle, le poids des ailes varie légèrement de l'une à l'autre. La première recevant beaucoup plus d'efforts horizontaux, nous avons dû la dimensionner en conséquence : elle est ainsi plus lourde et plus rigide que celles qui suivent. La dernière aile, fixe, plus exposée aux intempéries, est également plus rigide. La charpente métallique a été réalisée par Cimolai, grande entreprise de charpente métallique située en Vénétie, non loin de Trieste. Nous avons développé la motricité des ailes dès le début des phases de conception, en nous associant à ISM Ingénierie, bureau d'études spécialisé en mécanique, basé à Angers ; les ailes motorisées ont été réalisées par Cimolai Tech, filiale de Cimolai spécialisée dans la mécanique. Le déroulement du chantier nous a contraints à poser un par un les onze ouvrages d'art que représentent les ailes de la toiture. Les caissons arrivaient en cinq modules de 20 mètres acheminés par convois exceptionnels ; nous disposions d'un terrain jouxtant le court sur lequel Cimolai a pu rabouter par soudure les éléments de caissons, puis boulonner les nervures. Comme il nous fallait quatre semaines entre la réception du colis et la pose de l'aile en toiture, nous avons dû accélérer le processus d'assemblage par un chevauchement des plannings de montage. La pose des toiles a enfin eu lieu entre mars et avril, très peu de temps avant le tournoi.
Quelles qualités d'usage confère le nouveau toit mobile au court central ?
La qualité acoustique du court central en position fermée était un sujet d'inquiétude pour nous, car il était important que les joueurs ne soient pas perturbés pendant les matchs. Nous avons mis en place des panneaux absorbants acoustiques en sous-face des ailes, entre caisson et compas. Sur le plan thermique, nous avons pu tester le renouvellement de l'air lors de nos essais au CSTB, ce qui nous a permis de valider le confort thermique du court avec le toit déployé, même en plein été. Alors que les premières couvertures rétractables des stades de Wimbledon ou de Melbourne, lorsqu'elles sont closes, requièrent climatisation et renouvellement mécanique de l'air, nous sommes partis sur le principe d'un court aéré naturellement. Lorsque le toit est déployé, les tympans situés au creux des ailes sur les flancs est et ouest de la toiture laissent circuler l'air : la ventilation naturelle permet ainsi de réduire la consommation énergétique du court central. D'ailleurs, si le premier court de Wimbledon couvert par toit mobile [livré en 2009 par Populous pour le compte de AELTC (All England Lawn Tennis and Croquet Club), NDLR] a été conçu hermétique et climatisé, le second [livré en 2019 par Grimshaw Architects et KSS Group pour le même client, NDLR] a suivi des principes similaires de ventilation naturelle de l'espace couvert.