Presque trente ans après l’ouverture du Magasin de Patrick Bouchain, le site Bouchayer-Viallet continue sa reconversion, et la salle pour musiques amplifiées et électroniques tient désormais compagnie à la halle 19e du Centre d’art contemporain. L’ancien quartier ouvrier se voit doté d’un équipement supplémentaire qui ne renie pas son histoire ; une façade en bastaings de mélèze brut fait retentir le passé industriel des usines, dressant le rythme des voies ferrées à la verticale de leurs vestiges. La géométrie et la répétition, l’aspect élémentaire de la planche dessinent cette peau grisonnante et muette. Elle est portée par des cornières fixées sur des poteaux en bois de section carrée qui se confondent habilement avec les bastaings. Tel le dépôt de caisses sur une voie de déchargement, l’insertion des volumes pourrait sembler aléatoire. Mais lorsque Herault et Arnod gagnaient le concours en octobre 2007, la ZAC n’en était qu’à ses débuts, et il fallait faire face aux incertitudes qui planaient sur les abords du projet. La forme étoilée du plan masse essaie comme elle peut de ne pas favoriser une orientation plus qu’une autre. Elle s’articule en fait intelligemment sur un principe acoustique : plutôt que de faire une boîte dans la boîte, l’isolation – capitale pour les soirées électroniques tardives – est issue d’une organisation spatiale conçue avec les acousticiens du laboratoire LASA. Chacune des branches qui entourent la salle et accueillent les bureaux, les loges et les stockages agit comme un espace tampon périphérique qui, structurellement, est désolidarisé de la coque centrale. Une précaution qui avait du bon puisqu’un immeuble de logement a depuis été construit en face.
Deux grands porches ouvrent les volumes de bois, pour l’entrée et la terrasse du restaurant. Une deuxième peau plus sombre se découvre qui, de verre bombé, de reflets sinusoïdaux et d’un éclat précieux fait pressentir le noyau intime. Conçu avec un seul rayon de courbure assemblée avec des portions droites, le mur-rideau est suspendu par une poutrelle triangulée et des suspentes qui soutiennent deux lignes de raidisseurs. Pour garder l’effet de légèreté, les panneaux de verre sont liés seulement par des joints de silicone.
L’ambiance de l’espace musical a été pensée comme celle d’un club. Keith Richards raconte dans une biographie ces petites salles où il a du plaisir à jouer près du public, intimité qu’Isabelle Herault dit avoir voulu justement recréer en délaissant les boîtes banalisées et impersonnelles. Pour La belle électrique, le pari a été de concevoir plusieurs situations de spectacle dans un même espace : une fosse (500 places) et des gradins (150 places) certes, mais aussi un bar interne et deux balcons qui s’avancent vers la scène pour une capacité totale de 1 000 places. Un déséquilibre créatif s’installe alors, les usagers pouvant vivre un concert sur plusieurs modes en passant d’un emplacement à l’autre à leur gré. L’asymétrie du volume brise définitivement la représentation souvent formelle du face à face scène-public, déjouée par le désaxement des gradins. Un autre type de relation s’installe et le spectateur le plus éloigné se trouve à 20 mètres de la scène. Le non-parallélisme des parois permet aussi d’éviter les ondes stationnaires, particulièrement dans les basses fréquences dont la musique électronique abuse souvent. Les murs en béton sont isolés par un multicouche savant, préalablement testé sur des modèles numériques. Contre le béton sont posés une laine de roche minérale pour l’absorption, puis un feutre de laine animale de 3 millimètres à la densité variable selon la hauteur et, apparentes, des lames de Medium® ajourées. Elles protègent d’abord le feutre des danseurs nocturnes, mais l’écartement et l’épaisseur organisent aussi une composition où la part de vide augmente avec la hauteur, visant à la diffusion du son et évitant les résonances indésirables. L’acoustique très feutrée, « matée », permet ainsi à chaque artiste de créer ses propres effets. La scénographie, elle, est assurée par un gril innovant, avec des câbles tendus, qui permet aux techniciens d’accéder directement à cinq travées de cadres de fixation pour manipuler les éclairages et les dispositifs d’amplifications en marchant simplement sur le filet métallique. La salle étant plus haute que les locaux périphériques, un doublage de béton fait passer l’aération et assure l’isolation de la partie haute.
De nuit, les spectateurs sortis sur le chill et les balcons, directement accessibles pendant la soirée, animent, le temps d’une pause rafraîchissante, la façade, lui donnent un surplus de vie et diffusent au-dehors les bouillonnements du concert.