Rédigé par Jean-Philippe Hugron | Publié le 14/10/2020
Low-rise, mid-rise, high-rise. Le lexique de la verticalité façon UK décline trois variantes. Angel Court est, sans conteste, de la deuxième ; ni basse, ni haute, juste « moyenne » : 96 mètres. Son allure, en revanche, n'a rien d'ordinaire. Ses façades élégantes en font un curieux iceberg décroché de la vertigineuse falaise de gratte-ciel qui lui fait face.
Depuis plusieurs années, la City court après les records et, d'une tour à l'autre, le quartier d'affaires s'est fait la vitrine… du mur-rideau. Si l'on pensait l'exercice de style limité, Londres est devenu, en Europe, un laboratoire d'expériences remarquables. Parmi elles, deux buildings conçus par SimpsonHaugh and Partners : One Blackfriars alias le « boomerang », une tour haute de 165 mètres dont les reflets sont prodigieux, et Dollar Bay, un immeuble de 100 mètres apprécié pour ses façades aux effets étonnants. Au-delà de ces constructions neuves, des projets de transformation visent à renouveler l'horizon de la capitale britannique. Cette fois-ci, c'est Fletcher Priest Architects qui attire l'attention avec la restructuration d'Angel Court, une tour autrefois « post-mo » tout agrafée de granite rose. L'agence londonienne lui a imaginé un nouvel avenir. Dès 2009, elle planche sur la possibilité de rénover entièrement l'édifice. Cet exercice exige notamment le remplacement des façades par une vêture autrement plus séduisante, un élégant mur-rideau à la teinte opalescente. « C'était le moyen de nous différencier des autres constructions », affirme Nicholas Worley. Le jeune chef de projet corrobore l'idée que Londres excelle sur ce thème. « La cohabitation de designers, d'artisans et de fabricants contribue à la production des meilleurs exemples de cette technique », dit-il. Pour Fletcher Priest Architects, le mur-rideau n'est donc pas un tabou. Il est même « un outil performant » tant pour « la représentation visuelle du bâtiment » - il s'agit en la matière d'« épater la foule » - que pour répondre à des impératifs environnementaux. Il est aussi « un moyen efficace de construire » ; « c'est une technologie reconnue, facilement disponible et adaptable. Elle offre en outre la possibilité de maximiser la rentabilité d'un bâtiment puisque des enveloppes minces et performantes permettent généralement d'augmenter la surface intérieure louable », indique l'architecte. Bref, les affaires sont les affaires !
« Ses façades élégantes en font un curieux iceberg décroché de la vertigineuse falaise de gratte-ciel qui lui fait face. »
Le contexte d'Angel Court est cependant singulier ; l'immeuble appartient en effet à un périmètre où il est désormais interdit - au contraire des rues alentour - d'ériger la moindre tour. Il bénéficie ainsi d'une solitude toute relative et, plus encore, d'une visibilité non négligeable depuis l'ensemble monumental formé par la néoclassique Bourse et l'imposante Bank of England, deux puissantes constructions en pierre datant du XIXe siècle. Cette coprésence avec des éléments classés du patrimoine londonien a conduit la ville à refuser toute teinte sombre à cet endroit. De son côté, Fletcher Priest Architects ne désirait pas donner dans le verre vert qui caractérise trop d'immeubles de la City. « Nous ne voulions pas d'une tour vitreuse », sourit Nicholas Worley. Un rose « un peu pâle » a, pendant un temps, été étudié dans l'intention de camoufler la tour. Enfin, le choix est acté : les éléments de façade présenteraient un aspect « laiteux » dans l'intention de « se rapprocher de la pierre de Portland abondamment utilisée par les constructions environnantes ». Une peau lisse est imaginée. Composée de quatre feuilles de verre à faible teneur en fer, elle est sérigraphiée, ponctuée de points d'un millimètre, « les plus petits possibles », selon Nicholas Worley. Le degré d'opacité de 23 % permet de réduire d'un tiers les gains solaires.
Cette façade cache un important travail de transformation où tous les éléments de cette structure de 25 étages, à l'exception du noyau et des fondations, ont été remplacés. « 75 % du béton existant sur le site a cependant été conservé », prévient l'architecte. L'agence se plaît en outre à préciser qu'elle a créé « cinq nouveaux étages sans augmenter la hauteur du bâtiment ». En réalité, en déplaçant les plateaux de service, en recréant les dalles de chaque niveau et en formant un noyau plus grand et mieux relié à l'espace de travail périphérique, la surface nette a augmenté de 60 %, l'équivalent de cinq étages supplémentaires.
Cette savante arithmétique sert aussi une stratégie imposée par la mairie de la City, qui oblige chaque investisseur à participer à l'amélioration de l'espace public. Avec cette opération immobilière, et notamment grâce à une légère inclinaison de la base de la tour étudiée à partir d'une « modélisation paramétrique », le bâtiment est magnifié par des angles à double courbure et permet 40 % d'espaces publics supplémentaires. Ils longent les constructions annexes de la tour, des immeubles de six niveaux tout habillés de pierre calcaire Irish Carlow Blue. À la stratégie de la disparition dans les airs, Fletcher Priest Architects oppose, depuis la rue, une minéralité pour mieux exister.
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FICHE TECHNIQUE
♦ LOCALISATION Londres, Royaume-Uni
♦ ARCHITECTE Fletcher Priest Architects
♦ ANNÉE 2017
♦ MAÎTRISE D'OUVRAGE Mitsui Fudosan UK & Stanhope PLC
♦ PROGRAMME Restructuration d'une tour des années 1970
♦ SURFACE BRUTE 46 031 m²
♦ COÛT DES TRAVAUX 147,8 millions d'euros HT
♦ DÉBUT CHANTIER 2014
♦ LIVRAISON 2017
BUREAUX D'ÉTUDES ET CONSULTANTS
♦ PAYSAGE Vogt
♦ STRUCTURE RÉSEAU ACOUSTIQUE Waterman Building Services
♦ FAÇADE NET Project Management & Consultancy Ltd
♦ ÉCONOMIE Alinea Consulting
ENTREPRISE
♦ GÉNÉRALE Mace Group
FOURNISSEURS PRINCIPAUX
♦ BARDAGE Focchi Ltd
♦ ASCENSEUR Mitsubishi Electric Elevator and Escalator
♦ RÉSISTANCE FEU Hilti AG
♦ PLANCHER Kingspan
♦ CLOISON British Gypsum
♦ ACIER Severfield