ENTRETIEN AVEC PIERRE-LOUIS TAILLANDIER
Fondateur et gérant de Taillandier Architectes Associés
Votre immeuble de logements à Bègles s’élève sur l’écoquartier Terre Sud. Quelles étaient les caractéristiques de cette ZAC et de la parcelle allouéeau projet ?
Notre intervention était l’une des dernières accueillies sur Terre Sud, un site remarquable sur le plan de ses qualités paysagères et naturelles, où plusieurs constructions très intéressantes avaient déjà vu le jour. Lorsque nous avons remporté ce concours, organisé par la mairie de Bègles sur une zone d’aménagement portée par le bailleur social Domofrance, nous nous sommes vu attribuer l’îlot 4.4, partagé avec deux autres agences d’architecture sur la thématique commune du « noir et blanc » : POGGI Architecture, qui y concevait également un immeuble de logements, et Nicolas Laisné Architectes, qui y a livré en 2017 une résidence pour personnes âgées. Sur la ZAC, la volonté de la mairie était de concevoir, en zone PPRI, un écoquartier modèle et largement végétalisé où régneraient les cheminements doux. Les résidents de l’écoquartier vivent dans un environnement privilégié et très peu pollué : l’ensemble Terre Sud est équipé de parkings silos situés en entrée de quartier, qui invitent les habitants à rejoindre leurs logements en cheminant au travers du grand parc paysager. La parcelle sur laquelle nous avons conçu l’immeuble de logements, sur la face est de l’écoquartier, avait la chance de jouxter un bras d’eau [l’estey de Franc, qui se jette dans la Garonne, NDLR] et de jouir d’une vue dégagée sur la végétation ripisylve longeant ses berges et sur les hauts arbres du parc voisin de Mussonville. Par ailleurs, aux abords immédiats de notre zone d’étude, de nombreux fossés, actuels ou anciens, permet taient un drainage naturel des terrains superficiels de l’îlot.
Comment la proximité de ce cours d’eau et le risque d’inondation ont-ils influencé votre conception du projet ?
La luxuriance du site invite naturellement à ce qu’on s’intéresse à la problématique de l’eau. Les projets déjà livrés sur la ZAC Terre Sud avaient créé des cheminements paysagers au milieu de noues existantes et d’une végétation préservée. Suivant cette dynamique, notre manière d’honorer le site a été d’y proposer une intervention paysagère minimaliste altérant le moins possible ses caractéristiques existantes : nous ne voulions pas créer de nouveaux obstacles qui auraient pu retenir l’eau, là où le site maintenu en l’état était spontanément capable d’évacuer les crues. Le coeur et les abords de l’îlot sont ainsi plantés d’une pelouse naturelle, qui tient lieu de prairie inondable, tandis que le bâtiment dessine une ligne brisée, interrompue là où se trouvent les arbres existants, conservés et rejoints par de nouvelles plantations. La proximité et la beauté de la végétation ripisylve nous ont poussé à travailler la façade comme une entité mouvante, vivante, capable d’imiter son environnement et de redessiner une image de la nature environnante en filigrane. Nous avons ainsi travaillé plusieurs images de cette végétation, puis nous avons sélectionné une photographie que nous avons extrapolée et agrandie à l’échelle de la façade. Chacun des pixels de l’image a ensuite été concrétisé sous la forme de tuiles plates, noires sur les façades saillantes – tantôt brillantes, tantôt mates –, blanc mat sur les façades entrantes des espaces de distribution verticale. Les jours de beau temps, le ciel se reflète sur les tuiles vernissées, grâce à leur légère inclinaison.
Techniquement, comment le bâtiment répond-il à la problématique de l’évacuation des eaux en cas de crue ?
Le risque d’inondation, bien que modéré [le site du projet correspond, selon le PPRI, à une « zone d’aléa modéré ou faible », NDLR], nous a incité à concevoir cet immeuble de logements sur pilotis pour limiter le plus possible l’encombrement au sol. La campagne de sondage a mis en évidence différentes formations de sol : des remblais sablograveleux plus ou moins argileux entre 0,1 et 0,80 mètre de profondeur, des alluvions de la Garonne entre 3,5 et 4 mètres de profondeur et des calcaires à Astéries, jusqu’à 30 mètres de profondeur. Des fondations spéciales sur pieux ont été requises, dont la profondeur varie entre 18 et 28 mètres selon l’implantation des différents bâtiments. Il s’agissait évidemment de construire les logements au-dessus de la cote des plus hautes eaux, située à + 6.41 NGF. Ainsi, le premier niveau habitable, surélevé à une cote de + 8.45 NGF, est toujours hors d’eau grâce au rezde- chaussée de plain-pied entièrement dédié aux places de stationnement – que nous avons prévues pour contrer la saturation des parkings silos. L’ensemble du rez-de chaussée est, de fait, naturellement ventilé et très largement ouvert, simplement ponctué par la trame des pilotis et entouré d’une tôle thermolaquée perforée qui prévient les intrusions tout en autorisant le passagede l’eau. La ligne brisée du bâtiment délimite trois corps de bâtiment distincts : deux volumes en R+5 et un troisième, plus proche du parc de Mussonville, en R+7. Poursuivant la recherche de transparence initiée au rez de-chaussée, les « failles » créées entre les trois immeubles accueillent les escaliers qui desservent les logements. Pour éviter l’encombrement du rez-dechaussée et d’éventuels problèmes de remontées d’eau par capillarité, nous n’avons pas conçu de halls à proprement parler, mais plutôt des patios d’accueil couverts et ouverts. Ces interstices entre les bâtiments, tout en générant des espaces extérieurs animés où les voisins se croisent dans l’escalier, profitent de la vue sur le parc et peuvent se saluer d’un immeuble à l’autre, permet tent en outre d’assurer l’évacuation de l’eau. Le revêtement de façade en terre cuite bénéficie par ailleurs de la surélévation des étages habités, car les tuiles, tout en assurant l’étanchéité du bâtiment, se voient protégées des eaux de crue et des chocs éventuels qui peuvent abîmer les bardages en rez-dechaussée.
La prise en compte du risque d’inondation aurait pu prendre le pas sur les préoccupations relatives à la qualité architecturale de l’ensemble bâti. Quelle a été la position de la maîtrise d’ouvrage à ce sujet ?
Ce projet m’est particulièrement cher, notamment du fait de l’investissement et de la confiance que nous ont témoignés la maîtrise d’ouvrage et les artisans avec qui nous avons collaboré. Nous avons eu la chance de travailler main dans la main avec des commanditaires curieux, ouver ts à nos propositions et très sensibles aux qualités esthétiques et d’usage du projet. Tout au long du projet, les équipes de maîtrise d’ouvrage se sont montrées très soucieuses de la qualité architecturale et ont été séduites par nos différentes propositions, notamment par la mise en oeuvre de la « pixellisation » de la végétation ripisylve. Pour matérialiser ce travail graphique et esthétique, nous avons été accompagnés par les artisans tuiliers de chez Terreal, qui ont adapté leur tui le standard Rul ly à notre projet en la déclinant en version vernissée. Soutenant cette démarche, l’adjoint au maire chargé de l’urbanisme a tenu à faire avec nous le déplacement jusqu’au site bourguignon de Terreal pour rencontrer les artisans et découvrir l’extrait de façade prototype qu’ils avaient réalisé pour nous. De la même manière, le cahier des charges qui nous avait été communiqué faisait montre d’exemplarité en matière de recherche qualitative, particulièrement notable sur un projet de logements sociaux. Nous avons conçu des blocs centraux en béton préfabr iqué très efficaces, où se regroupent les espaces humides et servants, et cela nous a permis, grâce à une structure poteaux-poutres en béton, d’obtenir davantage de flexibilité spatiale tout en libérant les façades. Celles-ci sont légères et généreusement percées, tantôt de baies vitrées correspondant aux pièces de vie, tantôt de loggias. Les deux derniers niveaux du bâtiment, en R+7, sont occupés par des duplex pourvus de terrasses en double hauteur, qui forment de grandes fenêtres sur le parc.