Rédigé par Jean-François Pousse | Publié le 12/04/2018
La plupart se rendent sur le site en camionnette ou en poids lourd pour décharger ou faire le plein de matériaux ou matériels du bâtiment. Mais pour l’amour de l’architecture, mieux vaut venir à pied depuis la station Pantin du RER E, à un bon kilomètre de la grande halle réhabilitée par l’agence Norbert Brail. L’occasion avant de l’atteindre de longer quelques édifices bien tournés : l’hôtel de ville (par Marcel Dourgnon, en 1886), la piscine municipale (par Charles Auray, en 1937), la station de pompage des eaux et, un peu plus loin, au n° 100, l’âpre mécano de l’hôtel industriel de l’Ourcq (par Chemetov & Huidobro, en 1989). Encore quelques pas, et tout à côté de la galerie d’art Thaddaeus Ropac, une rotonde calepinée de métal couleur cuivre annonce en lettres XXL : Pantin Logistique. Un ensemble considérable de deux bâtiments parallèles est-ouest : l’un, succession de hangars rectangulaires sans intérêt, l’autre, superbe !
Retour en arrière. Juste après la Seconde Guerre mondiale, la SNCF (créée en 1938) se lance dans de vastes réalisations, dont cette halle en petite couronne construite entre 1946 et 1949 pour accueillir les trains dont les marchandises sont transférées par camion dans la capitale. À la manœuvre, l'architecte Paul Peirani, et l'ingénieur Bernard Laffaille qui un peu plus tard avec Guillaume Gillet conçoit l'admirable Notre-Dame de Royan.
En fait de halle, il y en a trois, accolées : 33 mètres de largeur chacune, mais bien une seule et même méga-architecture aux mensurations de géant : 108 mètres de largeur et 324 mètres de longueur. Du béton, mais quel béton et avec quel dessin !
Des voiles ultraminces de 7 centimètres d'épaisseur et 54 poteaux seulement, connus sous le nom de « V Laffaille », son inventeur justement, et une solution de génie pour une lumière naturelle. Au lieu des sheds habituels, tous les 7 mètres environ, les voûtes s’entaillent nord-sud : 26 ouïes chacune, 78 en tout, au dessin en V (encore !), aux vitrages inclinés à 30 degrés vers le sol ; 78 incisions et autant d’arcs lumineux dont la succession creuse d’incroyables perspectives longitudinales, transversales et diagonales. Pendant près de cinquante ans, la halle vit sa vie. Occupée par la Sernam, elle se grise peu à peu, noircit, s’adjoint un entrepôt côté ouest (démoli aujourd’hui) qui la masque en partie, s’étiole puis s’éteint.
« AU LIEU DES SHEDS HABITUELS, TOUS LES 7 MÈTRES ENVIRON, LES VOÛTES S'ENTAILLENT NORD-SUD : 26 OUÏES CHACUNE, 78 EN TOUT, AU DESSIN EN V. »
En 2008, Saint-Gobain rachète l'ensemble 11 millions d'euros pour regrouper huit de ses enseignes et partenaires (Point P, La Plateforme du bâtiment, Kiloutou, etc. ) mis au service des professionnels de la construction et de la rénovation. Commande directe est passée à l'agence Norbert Brail, en affaires avec Saint-Gobain depuis les années 2000. Pour pallier le peu d'archives retrouvées, à une première phase poussée de croquis d'études ont succédé des relevés systématiques de l'existant et une modélisation de toutes les propositions, peu à peu affinées par itérations. Près de 600 mètres linéaires de voies et de quais sont démolis, les gravats recyclés sur place pour laisser place à une nouvelle organisation. Des trois halles, la première au sud s'ouvre aux clients (150 places de parking), la seconde abrite les magasins, la troisième au nord accueille logistique et stockage. Pour les architectures d'âge respectable, les mises aux normes sous prétexte d'économies d'énergie aux calculs parfois douteux rappellent trop souvent les ravages de la chirurgie esthétique. Saint-Gobain, qui joue aussi son image sur le développement durable, n'a pas laissé passer l'occasion. La halle multiplie les médailles. Parmi d'autres exemples, 100 % des eaux usées sont épurées grâce à un système de phytores-tauration. Même le Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) a été sollicité pour un audit des richesses de la faune et de la flore locales avec préconisations pour les jardins de 14 000 mètres carrés… Pour l'architecture, le béton sablé, passé au lait de chaux, s'impose partout si fort que même les sprinkleurs et les réseaux de VMC s'estompent et semblent s'y fondre. Sur la toiture conservée s'ajoutent étanchéité et isolation renforcées avec des panneaux mimétiques d'isolant en laine de verre. Pour répondre au surpoids d'une telle couverture, il a fallu alléger. Fini les vitrages des ouïes, qui sont remplacés par du polycarbonate ici et là occulté afin de contrôler l'éclairage naturel. Côté sud, pour respecter la législation de sécurité contre les incendies, ils s'éclipsent. Mais les châssis ont été préservés et font, avec leur ombre portée et la lumière, un tableau saisissant. Le grand œuvre de l'agence Brail qui permet au bâtiment de revivre tel qu'en lui-même. Ses perspectives traversantes d'antan ayant disparu, abolies par les cloisonnements essentiels aux nouveaux usages, seul ce flanc sud déploie une générosité spatiale aussi prenante. Plus émouvant encore, peut-être, avec les matériels et matériaux présentés partout à la vente et les adjonctions techniques nécessaires au quotidien, cette grande halle métamorphosée réinvente et magnifie ses origines industrielles, entremêle cultures du bâtiment et de l'architecture.
POUR EN SAVOIR PLUS
⇒ La halle Sernam est composée de trois nefs parallèles de 33 mètres de large par 324 mètres de long chacune. Elles sont composées d'une structure béton de poteaux-coque à section en V sur lesquels reposent des voûtes paraboliques mince sous-tendues par des tirants en acier enrobés de béton. Remarquable par sa dimension et ses qualités spatiales, l'ensemble a été libéré des constructions annexes venues s'agglomérer progressivement et est aujourd'hui appréhendable dans sa totalité.
⇒ Telles des entailles de lumière et de ciel, 78 verrières en V ont été déshabillées et rénovées. Elles remplissent aujourd'hui les fonctions de ventilation naturelle, de désenfumage et d'éclairage selon la partie du programme qu'elles surplombent. Pincées sur la structure béton existante, les nouvelles ossatures laissent toujours visible la finesse exceptionnelle des voûtes paraboliques.
Retrouvez l'ensemble des plans et des coupes dans exé 30 spécial Traits
FICHE TECHNIQUE
PROGRAMME Réhabilitation d'une halle ferroviaire en surface commerciale destinée aux produits du bâtiment
LOCALISATION Pantin (93), France
ANNÉE 2016
ARCHITECTE Norbert Brail
MAÎTRISE D'OUVRAGE Point P
SURFACE BRUTE 35 000 m²
COÛT DES TRAVAUX 25 millions d'euros HT
ÉTUDES 2010-2012
LIVRAISON 2015
BUREAUX D'ÉTUDES ET CONSULTANTS
STRUCTURE EBM
FLUIDES Becice
ÉLECTRICITÉ Beco
PHYTORESTAURATION Phytorestore
ENTREPRISES
VRD Emulithe
FONDATION SPÉCIALE Soleffi
GROS ŒUVRE Soreb + ECP
DALLAGE Placeo
ÉTANCHÉITÉ BARDAGE Sitec
SERRURERIE Mauler
PORTE SECTIONNELLE Norsud
MENUISERIE ALU Entraxe
CLOISON DOUBLAGE SGPI
CLOISON AMOVIBLE Cloisonplaf
FAUX PLAFOND Plac force
CARRELAGE FAÏENCE Flipo
PEINTURE NETTOYAGE SMPB
ASCENSEUR Schindler
ÉLECTRICITÉ Masselin + Atelsat
CVP Vitruve
SSI RIA Uxello TPI
CLÔTURE PORTAIL Dirickx
FLOCAGE Isolex